Les sorciers du ciel
en faveur de personnes en difficulté avec l’occupant, cacher des proscrits, faciliter aux évadés le passage de la ligne de démarcation qui passait à 20 kilomètres de Tours, loger et héberger des clandestins, recevoir pour eux de la correspondance compromettante… Si bien qu’un jour, je me posai nettement la question : si l’occupant découvre ce que tu fais, ne risques-tu pas d’attirer la foudre et de voir disperser ces jeunes qui ont déjà tant de mal à organiser leurs activités ?
C’est là que me vint à l’esprit l’argument qui me décida : « Si on admet qu’un père de famille invoque son devoir familial pour décliner sa participation active, toi, célibataire par profession, vas-tu aussi t’excuser ? En ce cas, qui va se charger de cette résistance active qui devient de jour en jour plus nécessaire devant la manœuvre allemande tendant à entraîner peu à peu la France dans son camp ? Prêtre, tu es célibataire. Célibataire, tu dois marcher. »
Et c’est de ce jour que je décidai de ne pas marchander mon concours à la résistance.
Il y a des choses qui doivent rester le secret des âmes. En parler en général leur enlève cependant beaucoup d’intérêt. Mais n’en pas parler et se réduire à l’anecdote, c’est ôter son principal sens à l’action que des prêtres ont pu exercer dans les Camps de Concentration.
Et d’abord, dans de telles circonstances, le prêtre a-t-il à exercer un apostolat proprement dit ? Certains penseront peut-être que non. Le prêtre doit donner l’exemple de la bonne camaraderie. Il doit aider matériellement s’il le peut, donner le coup de main à celui que son travail épuise, soutenir par son moral le moral de ceux qui flancheraient, et c’est tout. Bien sûr, il ne refusera pas d’entendre les aveux d’un mourant ou d’une âme qui éprouverait quelques remords, mais son ministère de prêtre n’a pas à aller plus loin.
Tel n’est pas mon avis. L’amour d’autrui doit inspirer le désir, pourvu que ce soit fait en toute discrétion, d’apporter à chacun le genre de secours dont il a besoin. Et c’est pour tous les hommes que le prêtre estime que le plus grand de leurs besoins est celui de la Foi.
— Ça y est ! Vous êtes parti en mission et vous avez voulu convertir !
Oh non ! Parce que je sais que l’homme ne peut convertir que lui-même. Par un laisser-aller dans les mots on a fini par dire « convertir » au sens transitif. En ce sens, seule la grâce de Dieu « convertit ». L’homme, fut-il prêtre, ne peut qu’aider son frère, et encore uniquement si celui-ci le veut. Importuner n’est pas seulement un « mauvais système », ce n’est pas bien agir. Mais être prêt à saisir la perche tendue, parfois gauchement, timidement, fugitivement, cela il le faut. Et pour cela y être attentif. La Foi j’en ai connu qui l’avaient perdue, tant la souffrance les avait amenés à la révolte ; je dois dire que j’en ai peu connu.
D’autres m’ont fait confidence que jusque-là ils s’étaient établis dans une commode indifférence et qu’à présent il ne leur paraissait plus possible d’y rester. Il est normal que j’aie connu beaucoup plus de ces cas. Les premiers, au contraire, n’étaient pas tenus de venir me le dire. Je ne tenterai donc aucune évaluation numérique ou proportionnelle.
Encore moins peut-on évaluer les motifs de ces retours sur soi, en tout cas l’intérêt matériel ne pouvait jouer aucun rôle dans un sens ni dans l’autre. La crainte d’une mort prochaine pouvait certainement agir, mais il n’y paraissait pas beaucoup. J’ai vu extrêmement peu de gens venir de l’irréligion ou d’une autre religion au catholicisme. Deux baptêmes m’ont été demandés, dont l’un par un médecin. Dans les deux cas, il s’est agi de conversions sérieuses et qui ont persévéré après le retour des camps.
Mais ce que j’ai vu avec admiration, c’est l’approfondissement de leur foi par des hommes qui étaient souvent restés à la superficie.
Et puisqu’il s’agit d’un mort, je peux bien citer le fait suivant. Nous étions au rassemblement et, par punition, on nous laissait alignés et au garde-à-vous indéfiniment. J’avais pour voisin un jeune Français et tout autour rien que des Polonais ou des Russes qui ne parlaient pas notre langue. Ce que voyant, mon jeune compagnon se mit de lui-même à me conter, à voix basse bien
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