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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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qu’il eut recueilli sur sa bouche une sorte de sanglot. La nuit, toute la nuit, il avait rêvé d’elle… Quand il était parti pour Narbonne en ignorant que Pierre de la Jugie exigerait qu’il l’accompagnât à Toulouse, il était revenu sur ses pas pour une dernière étreinte. On eût dit qu’ils savaient qu’il partait pour longtemps… Maguelonne ne lui avait offert qu’un baiser. Si peu qu’il eût duré, elle avait mis toute son admiration dans la ferveur de ses lèvres, dans le serrement de ses mains sur les rudes gantelets, dans la poussée de sa poitrine et de son ventre contre cette poitrine et ce ventre d’homme également attirés par son corps.
    – Enfin ! fit Tristan.
    Il voyait le haut du clocher et les tours aux merlons robustes et carrés où des coulons semblaient s’intégrer à la pierre. Au plus intime de son être, il souffrit. C’était comme une espèce de noyade : pas de souffle, pas d’espérance ; une sorte de fatidique résignation. Brièvement, il se souvint combien cette cité avait produit, après la hautaineté de Peyrepertuse, une sorte d’étrange fascination sur lui avec ses épais murs de pierre grise, ses vieilles maisons et cette sérénité qui ne devait rien à Dieu, sans doute, bien qu’elle fût domaine d’Église.
    – Messire, dit Paindorge, voyez donc qui je vois.
    Elle était là !
    Précisément, elle quittait l’église, le dos un peu penché, frileuse et comme résignée.
    La crépitation des sabots lui fit tourner la tête. Il faisait si clair encore que Tristan perçut d’emblée sur son visage l’ampleté de son ébahissement et sa crainte brève et comme éperdue de vivre une illusion plus douloureuse encore que sa longue attente. Pour lui, c’était la guérison, le retour à la réalité de leurs vies, le passage de la mélancolie à la joie, de la souffrance au bonheur. Une béatitude inconnue d’elle figeait Maguelonne humble et belle dans la robe de tiretaine safran qu’il lui connaissait tandis que derrière la jouvencelle, ses compagnes s’enfonçaient dans le chœur du saint lieu afin qu’ils fussent seuls.
    – Je passe devant, messire.
    – Mettons pied à terre… Prends, Robert, Malaquin au frein… Va, je te rejoindrai.
    Déjà, ils étaient seuls, immobiles, indécis à dix pas l’un de l’autre. Cet espace, Tristan le voulut parcourir.
    – M’amie… murmura-t-il.
    Il marchait sur du feutre. Il ne sentait rien d’autre en lui que le tocsin d’un cœur dont les ondes emplissaient ses oreilles. Les émois de l’amour lui semblaient tout à coup semblables à ceux de la honte : les délices qu’il avait parfois imaginées se diluaient dans son sang pour devenir douleur, brûlure et torrent. Il voyait peu à peu reparaître en Maguelonne, avec l’ancienne peur de lui plaire insuffisamment, le chagrin de n’être que ce qu’elle était.
    – C’est vous…
    Elle demeurait figée, tremblante, ne sachant que faire de ses mains, de ses bras, mais certaine, assurément, qu’elle vivait là l’ultime épreuve de sa jouvence.
    – Je désespérais… Chaque matin, chaque vesprée, j’allais demander à Notre-Dame qu’elle vous fasse revenir.
    – Eh bien, la Sainte Vierge a ouï tes prières.
    Une douleur, quand il l’étreignit, fendit la poitrine de Tristan comme une hache une bûche. Il retint le soupir dont sa gorge était pleine. Quant à Maguelonne, elle pleurait, les yeux levés vers lui. Il voyait leur brillant dans la blêmité du crépuscule – un des plus beaux qu’il eût connus – et cette lueur, entre les perlettes des cils mouillés, semblait plonger jusqu’aux arcanes de son âme pour y savoir si son amour était resté le même et ses intentions aussi.
    Il se souvenait de lui avoir crié : «  Je te ferai châtelaine. » Il tiendrait son serment. Par le verbe et par la force, il saurait conquérir Castelreng pour devenir le maître absolu de la demeure où, s’il était encore présent, son père se consumait d’une morne lassitude.
    – Tu seras châtelaine.
    Maguelonne passa des pleurs aux sanglots.
    – Vous ne repartirez pas ?
    – Non. J’ai servi le roi. Que d’autres me remplacent.
    – J’ai enduré moult peines à vous attendre. Alazaïs et Sibille me disaient d’avoir confiance. Girard et Yvain aussi… Mais on vous savait tous en danger. J’avais peur… J’ai maigri… Je ne suis pas trop laide ?
    C’était bien d’une femme ce souci d’avoir langui de

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