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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ses amitiés, ses espérances. Ah ! comme il se réjouissait d’avoir quitté une fois de plus et définitivement les insatiables chercheurs de gloire, joyeux destructeurs d’existences humaines dont l’intransigeance et la cruauté s’alimentaient de principes abjects et de professions de foi absurdes. Il exécrait leur jactance calamiteuse ; il abhorrait les turpitudes dont ils se prévalaient. Treize ans plus tôt, à Poitiers, il s’était félicité d’ostoyer 146 afin de se prouver qu’il était un chevalier véritable. Il allait désormais vivre avec des gens simples. Il purgerait son cœur et son esprit des boues et des sanies dont ils débordaient. Pour lui, la Chevalerie avait fait son temps.
    – Croyez-vous, demanda Paindorge à court de propos, croyez-vous que le Breton nous ait fait chercher ?
    – Je n’en sais rien. Les liesses ont dû se prolonger quelques jours, à Montiel, après qu’il eut fait occire les Juifs et les Mahoms qui s’y étaient reclus. Il doit désormais compter son or et se frotter si violemment les mains qu’elles en fument. Entre-temps, il doit besogner sa maîtresse comme il n’a jamais pu le faire auparavant, trop occupé qu’il était à paroler et à occire. S’il n’était point cruel, j’aurais pu l’admirer.
    Guesclin possédait la sûreté de vue d’un chef de guerre. De son esprit retors jaillissaient des décisions et mouvements prompts. Il avait l’ose (393) , l’instinct et la vigueur d’une bête noire. Mais en tant qu’homme – et c’était assurément l’essentiel -, c’était le rustique le plus médiocre qui existât dans le royaume.
    – De ne plus voir sa hure à mon réveil me donnera de la joie pour toute la journée.
    – Tenez-vous toujours à vous venger de lui ?
    Tristan leva les yeux au ciel comme pour y chercher deux âmes :
    – Je ne lui pardonnerai jamais la perte de Simon et de Teresa même s’il n’a pas commis cette énormité lui-même. Et je ne saurais l’absoudre de celle de Pèdre… La mort du Cruel ne me tourmente point. C’est la façon dont il la reçut qui m’indigne.
    Ils chevauchaient entre deux forêts déjà chevelues sur lesquelles le soir tombait, doux et pourpré. Ils savaient qu’ils arriveraient avant la nuit. Ameubli par des pluies récentes, le chemin semblait doux aux chevaux qui allaient à leur train.
    – Encore heureux, dit Paindorge, que j’aie fait ferrer nos compères trois jours avant la mort de Pèdre et qu’ils aient piété dans des champs plus souvent que sur du briou 147 … J’ai regardé leurs sabots ce matin encore… Ils n’auraient pas piété cinq lieues de plus… Il en est un qui sera content : Alcazar.
    – Je le serai aussi, mais vois-tu, si j’ose dire, Malaquin a gagné ses éperons. Je le mettrai au champ et lui offrirai une jument… C’est bien le moins que je puisse faire.
    – Je suis fier de Flori. Il faudra par ma foi que je lui en donne une.
    Plutôt que de s’ébaudir, ils retombèrent dans leur silence. L’émoi les gagnait. Ils venaient, indifférents, de passer devant la petite bastille de la Roque-de-Fa sans même porter d’intérêt à deux femmes courbées sous un fagot et qui clopinaient vers leur logis. Toujours, autour d’eux, des arbres vigoureux, ivres de vie, et des fougères, des épiniers et des chardons aux cervelières rousses. Les lumières et les ténèbres alternaient au-dessus du chemin où parfois se joignaient des branches musculeuses. Tristan, à chaque courbe de celui-ci, éprouvait d’étranges frissons à se dire : «  Plus près, plus près encore. » Tout était paisible. Aucune voix que celle des passereaux, merles, pies, hochequeues, geais et tourterelles. Des chants parfois pointus, parfois comme arrondis avant les hôlements des oiseaux de nuit qui semblent danser sur les vagues du temps. Ce n’était pas l’aride contrée de Montiel, ni celle, glacée, des sierras. La nature de la Langue d’Oc était opulente, généreuse, particulièrement lors des premières poussées de la sève et l’apparition du ciel bleu. Bruissantes, et comme folles de joie, des eaux nées on ne savait où dévalaient les pentes herbues pour courir le long du chemin que parfois, vêtues d’écaillés d’argent, les plus hardies traversaient comme de grosses couleuvres. Comment n’eût-on pas senti ses forces renaître en chevauchant au pas dans cette nature avenante ? Comment l’assurance de revoir Maguelonne

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