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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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frais le revigora. Le retour si beau, si prometteur, prenait un aspect funèbre. Une invincible monotonie résultait pour lui du spectacle de Maguelonne heureuse, apaisée, et soudainement soucieuse. Elle savait qu’il devait châtier les coupables et devinait les difficultés de cette double vengeance. Car elle prenait fait et cause pour cette Augusta Gaulène qu’elle ne connaissait pourtant pas.
    – Je devrai conquérir ma demeure, dit-il. J’y ai fréquemment pensé.
    Maguelonne écoutait, cherchant dans ces deux phrases que le deuil assombrissait les paillettes de son amour recouvré. Dans son âme vivifiée par l’apparition de son fiancé, tout froidissait encore et semblait vaciller.
    – Que voulez-vous faire ? demanda Pierre Massol.
    Il fallait donc, déjà, envisager une autre espèce de bataille.
    – Exclure, simplement, la carogne et son fils puisque je n’ai pas d’autre preuve que des mots, d’autre certitude que ce que me dira ce clerc. Je l’irai trouver dès demain. Mon soi-disant demi-frère m’a toujours fait penser à un cagou 153 et sa mère à une…
    Il avala le mot suspendu à ses lèvres.
    – Dès demain ! s’étonna Maguelonne.
    Tristan approuva de la tête.
    Il irait à Saint-Hilaire en compagnie de Paindorge, Lebaudy et Lemosquet. Frère Gaulène parlerait de bon ou mauvais gré. Bien que ce religieux dût être miséricordieux par nature, il finirait par exaucer la requête d’un chevalier décidé à venger sa sœur, complice involontaire d’un péché mortel. Le service de Dieu et la rancœur n’étaient pas contradictoires.
    – Savent-ils seulement où je suis ? soupira-t-il.
    – Non, affirma Pierre Massol, mais si vous voulez un conseil, il serait bon que vous rejoigniez vos compagnons. Ils vont bien. Rien n’est changé à Villerouge.
    Il fallut se quitter. Séparation brève mais qui parut affliger profondément Maguelonne. Tristan la baisa au front et sur ses paupières fraîches – trop fraîches. Il serra la main du fèvre et, mécontent de tout, se hâta vers le château.
    *
    Non, rien n’était changé. Lebaudy et Lemosquet avaient grossi, mais affirmaient n’avoir rien perdu au maniement de l’épée, de l’arc et des armes d’hast. Le bayle était absent. Pierre de la Jugie semblait se confiner à Narbonne. Pons de Missègre faisait une retraite à l’abbaye de Lagrasse. Le vieux Clinquant de Limoux et le bon gros Fortifiet d’Antugnac aimaient toujours autant le vin et la bonne chère. Blondelet, le portier, Petiton, Foulques, Guichart et Jovelin, les soudoyers, avaient continué de s’exerciser un jour sur deux en compagnie des jeunes. Lebaudy et Lemosquet se disaient fiers des Anciens.
    Réunis autour de la table du tinel, tous mangeaient et buvaient oubliant pour un soir qu’à l’entour de Villerouge la disette avait remplacé la famine.
    – Les routiers ne se sont pas montrés, dit frère Clinquant.
    – Et pour cause ! triompha Paindorge. Ils étaient avec nous en Espagne.
    Il vida son gobelet et le tendit au massif Fortifiet qui l’emplit à ras bord. Comme Tristan leur lançait un regard faussement réprobateur, le clerc ébaucha un signe de croix à mi-distance des épaules :
    –  Abusus non tollit usum.
    –  Hé oui, mon père, sourit Tristan. L’abus n’enlève pas l’usage. Que dirait l’archevêque en vous voyant potailler ainsi ?
    –  Age quod agis 154 ou, en connaisseur : bonum vinum laetiflcat cor hominis 155 ou, prenant ce gobelet plein de vin et non de vide : hoc erat in votis 156 .
    –  C’est une formule, mon père, qui me convient. On peut l’énoncer à table ou devant le corps roide et froid de son ennemi. C’est ce que je dirai certainement un jour…
    Tristan n’ajouta rien. Il venait de voir Guesclin immobile à ses pieds, pesant à peine, bien que fervêtu, dans une neige molle, abondante, mouchetée d’hermines vermeilles. Et son âme tremblait de peur en découvrant, tout proches du Breton, Simon et Teresa, et plus loin, telle une haie d’êtres charbonnés, silencieux et satisfaits, les embrasés de Briviesca, les décapités de Boija et les martyrs de maints autres villages suspectés d’être sarrasinois ou juifs.
    « Non ! » se dit-il. « Que ce fredain (394) n’infecte pas mes pensées. J’ai bien autre chose à faire. »
    Bientôt, le visage de Maguelonne effaça celui du rustique.
    Elle l’avait rejoint devant le seuil du château, le temps peut-être de lui dire

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