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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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n’eût-elle pas embrasé un cœur trop longtemps sec ?
    Une hermine s’enfuit à petits sursauts blancs, et plus loin un furet, prompt comme un carreau d’arbalète qu’on eût empenné de poils. Ils avaient été prévenus de loin par les tintements des lormeries plus encore que par le pas des chevaux.
    – Un long randon, dit tout à coup Tristan pour échapper à ses pensées. Belmonte où nous avons mangé sans crainte. Cuenca où une venta nous a accueillis et où nous avons dormi dans l’écurie par crainte qu’on robe nos bêtes.
    – Teruel et Alcaniz que nous avons contournés par prudence.
    – Lerida, Urgell et Foix où soudain la vie nous a semblé douce… parce que sitôt mangé, nous disparaissions dans la nuit.
    – Quillan et Couiza… J’avais songé à me… retremper dans Carcassonne. Nous irons… de Castelreng.
    – Combien de lieues de Montiel à ici ?
    – Deux cents peut-être. Je me suis contenté de compter les jours et je ne me suis pas mépris. Je suis tombé d’accord avec cet hôtelier de Quillan qui a bien voulu accepter les derniers écus que j’avais conservés. Nous sommes le 30 avril 148 .
    – Seigneur Dieu !… Plus de cinq semaines.
    – Nous ne pouvions aller tout droit et traverser la Navarre. Il nous fallait aussi éviter l’Aragon… Nous avons réussi : Dieu le voulait ainsi. La bonne chance fut avec nous… Je fais des vœux pour qu’elle y reste.
    – Nous voici à Félines, dit Paindorge.
    Une éclaircie dans la verdure.
    – Un dimanche, elle et moi sommes venus jusqu’ici.
    Comme à l’aller, ils étaient repartis main dans la main. Ah ! Certes, il eût pu culebuter Maguelonne en des nids d’herbes secrets de part et d’autre du chemin. Eh bien, non. Il se contentait parfois de s’arrêter pour la baiser au front, aux joues, aux lèvres. Une sorte de superstition lui enjoignait de respecter la jouvencelle pour que leur union, bénie par l’Église, devînt sans heurt ce qu’il en espérait. C’était une pensée nouvelle. Il se passionnait d’autant plus pour Maguelonne qu’il voulait l’élever au-dessus de toutes les autres et au-dessus de sa condition plébéienne pour qu’il fût encore plus fier de l’aimer qu’il ne l’était déjà. Il la voyait plus vraie en dame qu’elle ne l’était en manante, et son imagination lui tissait des parures, des mouvements, des rires. De toutes celles qu’il avait connues et aimées d’un amour sincère, c’était Maguelonne, assurément, qui convenait le plus à sa nature ; c’était elle qui semblait la mieux comblée des faveurs divines, celle dont le personnage adhérait le mieux à ses espérances d’homme, à ses ambitions et à Castelreng. Elle l’avait conquis sans vouloir le séduire. Comme la mal heureuse Oriabel… En Espagne, à l’aurore, elle était son bréviaire, dans la journée sa belle étoile et dans la bataille sa bonne fée. Ce soir, s’il manquait d’augures tangibles, les oiseaux, les ruisseaux et le ciel d’un bleu déjà tendre affirmaient qu’elle l’attendait.
    – Je ne monterai pas à cheval pendant quelques jours.
    – Je pense en faire autant, Robert.
    Il semblait à Tristan que l’air boursouflé de vent frais devenait d’autant plus revêche que son oppression grandissait. Sa tête fourmillait de souvenirs hideux, à peine décolorés par toutes les lieues qui le séparaient de l’Espagne. Son cœur ne pouvait aussi se désemplir d’un mélange de rancunes et d’espérances blessées. Il respirait malaisément. Le soleil déclinait, gros denier d’or dont le listel incandescent allait affleurer les montagnes. C’était presque le moment où le jour repousserait mollement les ténèbres inévitables, où les moineaux pépieraient plus fort pour se taire omniement 149 . Le Termenès semblait se défendre encore contre les envoûtements nocturnes.
    – J’ai hâte, Robert. J’ai comme une male faim d’arriver !
    Bientôt, il verrait l’église. Il verrait l’arbre sous lequel il avait donné à Maguelonne un baiser qui n’avait plus rien d’amical. Il se souvenait de sa tête appuyée sur son épaule, pas plus pesante qu’une fleur. Le soleil tiédissait ses cheveux et certains qui picotaient son cou s’accrochaient à sa barbe – c’était le soir. Il ne savait plus ce qu’elle avait dit avant le toucher de leurs lèvres, mais ce dont il était certain, c’était que sa voix avait pris une teinte enfantine après

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