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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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lui en se fanant. Il s’éloigna, les bras tendus, les mains demi-fermées sur des épaules frêles, comme pour se mirer alternativement dans de longues tresses couleur des ors de ce jour faste puis, l’ayant contemplée, il étreignit Maguelonne encore plus étroitement tel un ravisseur aux intentions honnêtes, et qui l’eût voulu emporter sur une mer diaphane au bout de laquelle les eût attendu quelque palais enchanté.
    – Tu es belle… Je ne t’abandonnerai plus. Tu me fais recouvrer mes songes de jeunesse.
    Il pouvait à peine parler, affirmer à la jouvencelle que le bonheur lui seyait à merveille. Il se sentait le corps empenaillé des tueries et des errances de son passé de guerrier, les poumons et le cœur navrés, plus proche des larmes que des rires. Maguelonne serait tout à la fois sa Dame du lac et sa panacée.
    – Viens, dit-il. Donne-moi ta main.
    Ils marchèrent. La forteresse grandit et les toucha de son ombre dure. Tristan murmurait parfois le nom de la pucelle comme il l’avait murmuré certains soirs où il doutait de la revoir. La terrible traversée de la Navarre enneigée, la faim et la guerre, la fréquentation des capitaines d’aventure, la redoutable présence d’un Guesclin et celle non moins inquiétante d’un usurpateur assoiffé de sang et d’honneurs avaient corrompu son énergie tout en fortifiant son caractère. Il pouvait désormais, au seuil de sa liberté reconquise, concevoir le courage qu’il lui avait fallu pour entraîner Paindorge sur les fastidieux chemins du retour. Ils avaient vécu cinq semaines sur les réserves de leurs forces amenuisées dans la froidure puis la chaleur d’un mars flamboyant. Il allait manger, dormir, surmonter cette espèce de mélancolie qui l’engonçait comme une armure forgée à la taille d’un autre.
    Il s’arrêta. Faiblesse de corps, étourdissement d’un amour ressuscité.
    – Il m’est doux de te savoir présente… De savoir que tu m’as attendu sans désespérer de moi.
    Maguelonne voulut l’examiner de si près que leurs nez se touchèrent. Ce que révélait la physionomie de la pucelle c’était, outre le soulagement, l’ardeur d’aimer, le plaisir anticipé de partager à l’avenir tous les moments de la vie de son héros – jusqu’à leurs miettes. Elle lui avait dit un jour : « Vous êtes beau. » Ce soir, elle ne voyait pas ou refusait de voir tout ce qu’il avait dispersé de cette soi-disant beauté dans une quête involontaire et répugnante. Car il avait maigri, lui aussi. L’air sec et froid, puis torride, l’avait tanné. Ce matin même, il avait prié Paindorge de le rère Ensuite, du bout des doigts, il avait effleuré ses rides. Il les savait profondes, ineffaçables.
    – Il ne faut plus partir loin… J’en mourrais.
    La voix de Maguelonne se brisa, mais c’était un dernier sanglot, un dernier aveu. Ils restèrent un moment joue contre joue, immobiles dans la fraîcheur des murailles : ce que la douce haleine de la nuit toute proche pouvait leur dispenser de meilleur. L’endroit sentait le soleil et l’étable, le miel et les fleurs : le bien-être.
    – Je te compagne chez ton tayon 150 .
    – Mais…
    – Obéis… J’ai suffisamment de vigueur pour piéter jusqu’à sa forge… Ensuite, j’entrerai en ces murs et nous nous reverrons demain.
    *
    Pierre Massol déposa son marteau sur ce qui semblait être le picot d’un épieu.
    – Holà ! s’écria-t-il en essuyant ses mains à sa panouille. On peut dire que c’est un miracle !… Ma nièce n’y croyait plus.
    – Il est venu te saluer en premier, mon oncle, dit Maguelonne incertaine.
    – J’ai mes raisons, m’amie… En fait, il n’en est qu’une.
    – Ah ! fit le fèvre, inquiet, en posant sur la table de son enclume la vieille serviette où se voyaient les empreintes de ses mains grasses. Que voulez-vous, messire, de si urgent ?
    – Ce que je veux, dit Tristan sans ambages, c’est épouser Maguelonne. Et je ne doute point de ton consentement.
    Il s’était tourné vers la jouvencelle. Le sol eût-il été propre qu’elle se fût agenouillée pour lui baiser la main.
    – Mais, objecta Massol en reprenant son marteau et en tapotant l’enclume comme pour y aplatir quelques battitures, ma nièce est une manante et vous êtes chevalier !
    – Manante, ta nièce ?… Que m’importe !… Sitôt que je serai restoré 151 dans Castelreng, j’épouserai Maguelonne.
    L’oncle et la pucelle

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