Les turbulences d'une grande famille
davantage. On eût dit que la gamine ne prenait des formes que pour mieux l'exciter. Quand il la croisait dans la maison, il la déshabillait du regard et souriait avec convoitise. Affolée, Augustine retourna se plaindre au shérif. Pour se débarrasser d'elle, il lui conseilla de se procurer une arme et de la brandir devant le forcené pour l'intimider, au cas où il passerait la mesure.
« — Il faut une licence pour acheter une arme, gémit Augustine. Donnez-m'en une !
« — C'est impossible ! Mais, si ces incidents se renouvellent, prévenez-moi. J'aviserai. »
Excédée, Augustine songeait déjà à fuir Phoenix Lodge lorsque Jacques Lebaudy, ressaisi par son goût du vagabondage, disparut sans dire où il allait ni quand il reviendrait. Un moment, elle put croire qu'elle et sa fille étaient définitivement hors de danger. Mais cefut un court répit. Quelques jours plus tard, Jacques Lebaudy ressurgissait, plus exalté et plus vindicatif que jamais. Ses troubles mentaux ne lui laissaient pas une minute de lucidité. Il lui arrivait de piétiner, nu, devant la porte de sa fille, un numéro du New York Times accroché autour des reins en guise de cache-sexe et le sabre à la main. Cette fois, le shérif, averti par Augustine, reconnut qu'il fallait « tenter quelque chose » et lui prêta un petit revolver de type « bulldog ».
« — Cela suffira à le faire réfléchir ! » précisa-t-il.
A moitié rassurée, Augustine emporta l'arme dans son sac à main et, rentrée chez elle, constata que Jacques Lebaudy s'était à nouveau volatilisé. Elle respira un bon coup et pria le ciel qu'il ne revînt jamais. La gouvernante s'étant absentée pour plusieurs heures, Augustine était seule à la maison avec sa fille. Pour la première fois, elle n'avait pas peur de Jacques. En tâtant le petit revolver « bulldog » dans son sac à main, elle se sentait protégée. Elle s'employait à calmer les inquiétudes de Jacqueline et envisageait encore la possibilité d'aller se réfugier avec elle dans une autre ville des États-Unis, ou peut-être même de retourneren France. Mais, le 11 janvier 1919, aux environs de midi, elle reçut un appel téléphonique. La voix qu'elle entendit à l'autre bout du fil la pétrifia :
« — Madame, je vous informe que j'ai pris la décision de violer votre fille cet après-midi. Je vous conseille de ne pas vous opposer à mes desseins ! »
Et, tandis qu'elle suppliait Jacques de renoncer à ce projet monstrueux, il raccrocha. Que faire ? Serrant dans ses bras sa fille percluse d'angoisse, Augustine pensa d'abord à prévenir le shérif. Mais cet homme timoré trouverait toujours un prétexte pour ne pas se déranger et lui recommanderait la patience. Elle préféra s'enfermer à double tour dans sa chambre à coucher avec Jacqueline. Blotties l'une contre l'autre et l'oreille aux aguets, elles attendirent ainsi pendant des heures, sans oser quitter leur retraite pour manger un morceau de pain ou boire un verre d'eau. Enfin, au milieu de l'après-midi, un bruit insolite, venant de l'extérieur, les avertit que le dénouement approchait. Jacques Lebaudy avait pénétré dans le jardin de Phoenix Lodge. Il était vêtu de sa gandoura saharienne et défiait le vide avecson revolver. A sa vue, le vieux jardinier noir, croyant que le maître en avait après lui, poussa un hurlement, lâcha son râteau et s'enfuit. Au lieu de le suivre, l'empereur du Sahara entra en coup de vent dans la maison, inspecta les pièces une à une, s'indigna de n'y trouver personne et, se plantant devant la porte de la chambre où la mère et la fille s'étaient retranchées, ordonna, péremptoire :
« — Ouvrez-moi ! Ma décision est sans appel ! Je dois l'exécuter aujourd'hui même ! »
Ces paroles étaient accompagnées de coups violents frappés contre le vantail. Augustine mit une main sur la bouche de Jacqueline pour l'empêcher de parler et retint elle-même sa respiration. Ne recevant pas de réponse, Jacques Lebaudy s'étrangla de fureur :
« — Je vais vous faire les sommations d'usage ! glapit-il. Si vous n'obtempérez pas, vous ne pourrez plus compter sur mon indulgence ! »
Et, comme les malheureuses continuaient à se taire, il se précipita vers le poêle, en retira avec des pinces les charbons ardents et les répandit sur le parquet devant la porte close. Peu à peu, la fumée, passant par les interstices, envahit la pièce. Comprenant queJacques
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