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Les turbulences d'une grande famille

Les turbulences d'une grande famille

Titel: Les turbulences d'une grande famille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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c'était davantage la confirmation de sa situation légale et de celle de sa fille que la mise à jour des comptes et l'attribution d'unefraction de l'héritage de Jacques. Pour appuyer ses dires, elle avait pu mettre la main sur quelques lettres du défunt qui justifiaient indirectement ses réclamations. Là-dessus, une décision capitale fut prise en sa faveur par le surrogate. Un jugement, en date du 4 août 1920, décidait que la demoiselle Augustine-Léonie-Marguerite Dellière était considérée comme ayant été dûment mariée à Henri-Jacques Lebaudy. Deux mois plus tard, Augustine réintégrait la France avec sa fille. Mais, à leur arrivée au Havre, la police des frontières émit des doutes sur la régularité du passeport, étant donné les dernières rectifications qui y avaient été apportées à l'étranger. Obligée de retourner aux États-Unis avec Jacqueline pour aplanir le litige soulevé par leur changement d'état civil, Augustine engagea un détective privé, M. Sudreau, dit Harris, afin de l'aider à débrouiller l'affaire. Celui-ci se montra fort efficace. Ayant entrepris des démarches auprès de la légation suisse à New York, il obtint des autorités helvétiques la reconnaissance de la filiation de Jacqueline et la transcription, par la municipalité des Eaux-Vives, en marge de l'acte de naissance de l'intéressée,du jugement rendu le 4 août 1920 par le surrogate américain. Ce fut alors que Sudreau, alias Harris, suggéra que le meilleur moyen de régulariser définitivement la situation serait de procéder à un mariage blanc, en France, entre Jacqueline, encore mineure, et son propre fils Roger. Augustine fut séduite par cette idée rocambolesque et le trio embarqua sur le Paris.
    De retour en France, Augustine se mit en devoir de préparer, avec Sudreau, la cérémonie en trompe l'œil qui devait unir le jeune Roger, ravi de l'aubaine, à la très affriolante Jacqueline Lebaudy, qui venait d'avoir dix-sept ans. Conformément à la parole donnée, le fiancé se garda d'importuner la fiancée et ce « couple fantoche » enchanta, par sa grâce et sa pureté, les parents qui eux aussi, maintenant, rêvaient de lier leur sort pour le meilleur et pour le pire. On allait faire d'une pierre deux coups, d'un bonheur de frime deux bonheurs sincères. Toute la compagnie se retrouva à Lapalud. Enfiévrée par le souvenir des festivités impériales de Jacques, Augustine, qui avait été à bonne école, voulut que la bourgade au grand complet participât aux réjouissances. En prévision dumariage religieux, elle dépensa sans compter pour restaurer la façade et le chœur de la vieille église, repeindre çà et là des palissades et des volets.
    Quelque peu inquiet de cette prodigalité, le curé, l'abbé Curenier, ne savait quelle attitude prendre face à son intarissable donatrice. Son embarras augmenta quand il apprit que Mme Augustine Dellière-Lebaudy souhaitait qu'il la mariât à M. Sudreau père le jour même où il marierait M. Sudreau fils à Mlle Jacqueline Lebaudy. Les papiers étant en règle des deux côtés, pouvait-il refuser ? Le pays était en émoi. Des journalistes accouraient des environs et de Paris. La folie lebaudienne tournant la tête à Augustine comme elle avait tourné jadis la tête à son amant, elle avait déjà englouti vingt mille francs pour parfaire l'accueil des invités. En souvenir de l'empire du Sahara et de ses anciens « sujets » maures, elle avait baptisé sa maison de Lapalud « villa Maurette ». Le soir, on allumait des lampions multicolores dans les rues. La fanfare municipale jouait à tous les échos. Chaque jour, l'heureuse mère lançait des sous, des billets de banque et des dragées par la fenêtre pour attirer les passants.Des gamins se battaient pour les ramasser. Puis, soudain, il y eut un arrêt inexplicable dans les préparatifs. Huit jours avant la date prévue pour la double cérémonie religieuse, le curé reçut un télégramme par lequel Mme Augustine Lebaudy, s'étant absentée, lui annonçait que les deux unions étaient remises « à une date ultérieure ». Interrogé au sujet de l'affaire par le reporter Géo London, du Journal, l'abbé Curenier soupira qu'il n'y avait pas eu et qu'il n'y aurait pas de bénédiction nuptiale en son église, les intéressés ayant changé d'avis dans l'intervalle. Mais le mariage civil des jeunes gens ne fut pour autant ni retardé, ni dépourvu de faste. En sortant de la

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