Les turbulences d'une grande famille

mariage, il était en instance de divorce avec la deuxième. Mais, dans quelques semaines au plus, il en serait débarrassé. Il n'y avait donc pas à hésiter sur le parti à prendre. Augustine pressa le mouvement. Le couple des mariés novices et celui des parents inspirés par leur exemple émigrèrent simultanément à Paris, le premier en voyage de noces, le second en voyage de fiançailles. Il fallut à peine huit mois à la mère pour connaître des satisfactions de cœur analogues à celles de sa fille. Dès que le divorce du prétendant d'Augustine eut été confirmé, elle exigea qu'il tînt parole. Il s'exécuta sans tergiverser, et même avec une bonne humeur rassurante. Le 4 octobre 1922, Henri-Charles Sudreau, dit Harris, détective privé, épousait, à la mairie du seizième arrondissement deParis, Augustine-Léonie-Marguerite Dellière, sans profession, veuve de Jacques Lebaudy.
    Après huit ans d'une vie commune traversée d'orages, Jacqueline décidait de rompre avec Roger Sudreau. Le divorce fut prononcé par le tribunal civil de la Seine, le 28 mai 1930, aux torts exclusifs de l'époux, celui-ci ayant, selon le jugement, « manqué gravement à la foi conjugale ». Le couple avait eu un enfant : la garde en fut laissée pendant sa minorité à la mère, avec droit de visite du père qui, par ailleurs, était condamné aux dépens.
    Quant à Augustine, témoin impuissant de ce naufrage, elle confiait à ses voisins que, tout compte fait, sa fille avait eu moins de chance qu'elle « avec les hommes ». Sudreau-Harris était, disait-elle, aussi bon mari que bon détective. Loin de se désintéresser des activités policières de son conjoint, elle se passionnait pour ses filatures, car elle y voyait le moyen de participer aux espoirs et aux angoisses d'autrui, sans ressentir les atteintes directes des événements. Après avoir cédé à l'enchaînement vertigineux des mirages du vivant de Jacques, voici qu'elle souhaitait, comme une authentique Lebaudy, en être le jouet, par procuration, jusqu'à la fin de ses jours.
    A soixante-dix-sept ans, retirée à Nice, elle remâchait encore ses souvenirs d'impératrice des sables. Elle mourut le 20 novembre 1950, avec une discrétion qu'Amicie Lebaudy, l'aïeule terrible, secrète et généreuse, l'inabordable passagère du « ballon captif », eût sans doute appréciée comme une marque suprême de savoir-vivre.
    1 Propos rapportés par Marcel Barrière, op. cit.
    2 Cf. Marcel Barrière, op. cit.
    3 Propos rapportés par Marcel Barrière, op. cit.
    4 Les détails et les propos de cette scène ont été rapportés par Augustine dans le récit qu'elle en fit, en avril 1922, à un envoyé du Journal.
    5 D'après les confidences d'Augustine Dellière, recueillies et commentées par Max Massot pour Le Journal (avril 1922).
    6 Max Massot, article du Journal, avril 1922.

BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE
    Voici quelques-uns des ouvrages que j'ai consultés
    pour écrire ce livre :
     
    BENOÎT-GUYOT, Georges, Les Colonisations manquées, De Gigord, 1948.
    BARRIÈRE, Marcel, La Vie secrète de Mme Baudley, Émile Paul, 1948.
    ELEB, Monique, Le Groupe des Maisons ouvrières, Paris, 1908 ; Parenthèses, 1994.
    GUILLEMINAULT, Gilbert, Du premier jazz au dernier tsar, comprenant l'important chapitre dû à Louis Sapin : « La folle équipée de Jacques Lebaudy », Denoël, 1969.
    WALDECK-ROUSSEAU, René, « Plaidoyer dans l'affaire Max Lebaudy », L'Illustration, 1894.
    Différents journaux français de l'époque, dont Le Journal, Le Matin, Le Figaro, Le Rire, Le Progrès, Le Gaulois, L'Illustration, La Revue des Deux Mondes, Icare (revue de l'aviation française), etc.

DU MÊME AUTEUR
    Romans isolés
    FAUX JOUR (Plon)
    LE VIVIER (Plon)
    GRANDEUR NATURE (Plon)
    L'ARAIGNE (Plon) — Prix Goncourt 1938
    LE MORT SAISIT LE VIF (Plon)
    LE SIGNE DU TAUREAU (Plon)
    LA TÊTE SUR LES ÉPAULES (Plon)
    UNE EXTRÊME AMITIÉ (La Table Ronde)
    LA NEIGE EN DEUIL (Flammarion)
    LA PIERRE, LA FEUILLE ET LES CISEAUX (Flammarion)
    ANNE PRÉDAILLE (Flammarion)
    GRIMBOSQ (Flammarion)
    LE FRONT DANS LES NUAGES (Flammarion)
    LE PRISONNIER N° 1 (Flammarion)
    LE PAIN DE L'ÉTRANGER (Flammarion)
    LA DÉRISION (Flammarion)
    MARIE KARPOVNA (Flammarion)
    LE BRUIT SOLITAIRE DU CŒUR (Flammarion)
    TOUTE MA VIE SERA MENSONGE (Flammarion)
    LA GOUVERNANTE FRANÇAISE (Flammarion)
    LA FEMME DE DAVID (Flammarion)
    ALIOCHA (Flammarion)
    YOURI (Flammarion)
    LE CHANT DES INSENSÉS (Flammarion)
    LE