L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
d’affaire avec quelques guinées, répliqua le colporteur d’un ton sec.
Les deux sœurs commencèrent à prendre l’alarme. Mon frère, dit l’aînée, vous feriez mieux de suivre le conseil d’Harvey. Ses avis ne sont pas à dédaigner en pareille affaire.
– Si, comme je le soupçonne, ajouta Frances, Birch vous a aidé à venir ici, votre sûreté et notre bonheur exigent maintenant que vous l’écoutiez.
– Je suis sorti seul de New-York, et je suis en état d’y rentrer seul, répondit le capitaine d’un ton positif. Birch n’était chargé que de me procurer un déguisement et de m’avertir quand les chemins seraient libres. – À ce dernier égard, Birch, vous vous étiez trompé.
– J’en conviens, répondit le colporteur avec quelque intérêt, et c’est une raison de plus pour que vous partiez ce soir. La passe que je vous ai procurée ne peut servir qu’une fois.
– N’en pouvez-vous fabriquer une autre ? demanda Henry.
Les joues pâles du colporteur se couvrirent d’une rougeur qui y paraissait rarement ; mais il garda le silence, et resta les yeux fixés sur terre.
– Quoi qu’il en puisse arriver, ajouta Henry, je ne partirai que demain.
– Je n’ai plus qu’un mot à vous dire, capitaine Wharton, dit Harvey d’un air grave, prenez bien garde à un grand Virginien ayant de grosses moustaches. Je sais qu’il n’est pas loin, et le diable ne le tromperait pas ; moi-même je n’ai pu le tromper qu’une seule fois.
– Eh bien ! que lui-même prenne garde à lui, répondit Henry. Au surplus, monsieur Birch, je vous décharge de toute responsabilité.
– Me donnerez-vous cette décharge par écrit ? demanda le prudent colporteur.
– De tout mon cœur, s’écria le capitaine en riant : César, vite ; papier, plume et encre, que je donne une décharge en bonne forme à mon fidèle serviteur Harvey Birch, colporteur, etc.
Tout ce qu’il fallait pour écrire fut apporté, et le capitaine, avec beaucoup de gaieté, écrivit en style analogue à son humeur la décharge qui lui était demandée. Le colporteur la reçut, la déposa à côté des images de Sa Majesté Catholique, salua toute la famille et s’en alla comme il était venu. On le vit bientôt dans le lointain entrer dans son humble demeure.
Le père et les sœurs du capitaine étaient trop charmés de l’avoir près d’eux pour exprimer les craintes que sa situation pouvait raisonnablement exciter, et même pour les concevoir. Mais comme on allait se mettre à table pour souper, de plus mûres réflexions firent que le capitaine changea d’avis ; ne se souciant pas de quitter la protection de la maison de son père, il dépêcha César chez Harvey pour lui dire qu’il désirait avoir une autre entrevue avec lui. Le nègre revint bientôt avec la mauvaise nouvelle qu’il était trop tard. Katy lui avait dit que Birch devait déjà être à quelques milles du côté du nord, étant parti de chez lui au crépuscule avec sa balle. Il ne restait donc plus au capitaine qu’à prendre patience, sauf à voir le lendemain matin quel parti la prudence lui suggérerait.
– Ce Harvey Birch, avec ses airs entendus et ses avis mystérieux, me donne plus d’inquiétude que je ne voudrais l’avouer, dit le capitaine Wharton après quelques moments passés dans des réflexions dans lesquelles le danger de sa situation entrait pour une bonne part.
– Comment se fait-il, dit miss Peyton, que dans le moment actuel il puisse parcourir le pays en tout sens sans être inquiété ?
– Je ne sais trop comment il se tire d’affaire avec les rebelles, répondit Henry ; mais sir Henry Clinton ne souffrirait pas qu’on lui arrachât un cheveu de la tête.
– En vérité s’écria Frances avec intérêt, sir Henry connaît donc Harvey Birch ?
– Il doit le connaître du moins, répondit Henry avec un sourire qui disait bien des choses.
– Croyez-vous, mon fils, demanda M. Wharton, qu’il n’y ait pas à craindre qu’il ne vous trahisse ?
– J’y ai réfléchi avant de me confier à lui, dit Henry d’un air pensif. Il paraît fidèle dans ses promesses. D’ailleurs son intérêt me répond de lui. Il n’oserait reparaître à New-York s’il me trahissait.
– Je crois, dit Frances, que Birch n’est pas sans bonnes qualités ; du moins il en montre l’apparence en certaines occasions.
– Il a de la loyauté s’écria Sara ; et pour moi c’est une vertu
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