L'Espion - Un épisode de la guerre d'indépendance
l’orage ? demanda l’officier, parlant avec intérêt, et partageant jusqu’à un certain point l’inquiétude évidente du père.
– Monsieur que voici, répondit le père en bégayant et en montrant son fils, nous a favorisés de sa compagnie et n’est pas encore parti.
– Monsieur ! répéta le dragon en examinant Henry avec attention ; et s’approchant de lui en le saluant : Monsieur, lui dit-il avec un air de gravité comique, j’ai beaucoup de regret de vous voir un rhume de cerveau si violent :
– Un rhume ! répéta Henry. Je ne suis pas enrhumé.
– Pardon, reprit le capitaine, mais en voyant de si beaux cheveux noirs couverts d’une vilaine perruque, j’avais cru que vous aviez besoin de vous tenir la tête chaudement. C’est une méprise, et je vous prie de l’excuser.
M. Wharton ne put retenir un gémissement ; mais les dames, ignorant jusqu’à quel point pouvaient aller les soupçons de l’officier, gardèrent le silence, quoique plongées dans la plus vive inquiétude. Le capitaine Wharton portant involontairement la main à sa tête, sentit que, dans la hâte que ses sœurs avaient mise à le déguiser, elles avaient laissé passer une mèche de cheveux sous la perruque. Le dragon vit ce mouvement avec un sourire malin ; mais, semblant n’y pas faire attention, il se tourna vers M. Wharton :
– Ainsi donc, Monsieur, lui dit-il, je dois conclure de ce que vous venez de me dire que vous n’avez pas reçu ici depuis quelques jours un M. Harper !
Ce mot soulagea d’un grand poids le cœur de M. Wharton.
– M. Harper ! répéta-t-il, pardonnez-moi, Monsieur, j’avais oublié, mais il est parti, et s’il y a dans son caractère quelque chose de suspect, nous l’ignorons complètement. – Nous ne l’avions jamais vu.
– Vous n’avez rien à craindre de son caractère, répondit le dragon d’un ton sec. Mais puisqu’il est parti, quand, comment est-il parti ? où est-il allé ?
– Il est parti comme il était venu, répondit M. Wharton à qui les manières de l’officier rendaient quelque confiance. Il s’en est allé à cheval hier soir, et a pris la route conduisant vers le nord.
Le dragon l’écouta avec grande attention, et un sourire de satisfaction anima sa physionomie. Il tourna sur le talon dès que M. Wharton eut fini sa réponse laconique, et sortit de l’appartement. La famille Wharton, jugeant d’après les apparences, s’imagina qu’il allait se mettre à la poursuite de l’individu sur lequel il avait fait tant de questions. Dès qu’il arriva sur la pelouse, on le vit parler avec vivacité, et à ce qu’il paraissait avec plaisir, à deux officiers subalternes. Au bout de quelques instants de nouveaux ordres furent donnés, et une partie des officiers quittèrent la vallée au grand galop par différentes routes.
L’incertitude des spectateurs non désintéressés de cette scène ne fut pas de longue durée, car le bruit des pas de l’officier annonça bientôt son retour. En rentrant dans le salon il salua toute la compagnie avec la même politesse, et s’approchant du capitaine Wharton, il lui dit avec un ton de gravité comique :
– À présent que j’ai fini la principale affaire qui m’a amené ici, me permettriez-vous d’examiner la qualité de cette perruque ?
Henry lui répondit sur le même ton, et lui présentant, sa perruque d’un air délibéré :
– La voici, Monsieur, lui dit-il, j’espère qu’elle est à votre goût ?
– C’est ce que je ne pourrais dire sans manquer à la vérité, Monsieur, répondit l’officier. J’aime beaucoup mieux vos cheveux noirs, dont il paraît qu’on a retiré la poudre avec grand soin. Mais cette mouche noire qui vous cache un œil et presque toute une joue doit couvrir une terrible blessure.
– Vous semblez observer les choses de si près, Monsieur, répliqua Henry, que je serais charmé de savoir ce que vous en pensez. Et il arracha le morceau de soie qui le défigurait.
– Sur mon honneur, Monsieur, continua l’officier avec la même gravité, vous gagnez prodigieusement au change ; et si je pouvais vous déterminer à quitter ce mauvais surtout qui me semble couvrir un bel habit bleu, je n’aurais jamais vu de métamorphose plus agréable depuis celle que j’ai subie moi-même quand j’ai été changé de lieutenant en capitaine.
Le jeune Wharton fit avec beaucoup de sang-froid ce que lui demandait l’officier républicain,
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