L'Eté de 1939 avant l'orage
empêcher les membres de son peloton de se faire tuer lâun après lâautre en essayant de lui venir en aide.
â Non. Le rêve a commencé en 1916, avec une attaque allemande. La routine, quoiâ¦
Lâeffort pour adopter un ton léger avorta. Lâhomme poussa un grand soupir avant de continuer:
â Mais il sâest terminé ici, à Sainte-Agathe, avec un nazi qui pénétrait dans la chambre de Nadjaâ¦
â Oh! Mon Dieuâ¦
Virginie resta un moment interdite, chercha ses mots, puis continua:
â La situation actuelle tâinquiète à ce point?
â Oui, car je connais la réalité dont jâai peur: envoyer des innocents à la mort, aussi irrémédiablement que si je tirais moi-même sur eux.
Après cela, inutile de chercher des paroles susceptibles de ramener la sérénité. Aussi la jeune femme resta coite, se contentant de continuer à caresser une poitrine toujours un peu haletante. Au bout dâun moment, lâhomme ajouta encore:
â Car câest bien cela le pire. Je sais très bien de quel enfer il sâagit, pourtant je désire absolument que le Canada sâengage dans la guerre. Mes étudiants pas toujours entichés de droit constitutionnel, ceux de mon ineffable collègue Pouliot, qui a réussi à convaincre certains jeunes que les Juifs représentaient la plus grande menace pour la race canadienne-française, sont les candidats idéals pour devenir de petits lieutenants. Exactement ce qui mâest arrivé. Je souhaite les envoyer sur les champs de bataille.
Lâhomme marqua une pause, reprit son souffle avant de continuer son discours murmuré:
â Certains ne reviendront pas du tout. Dâautres seront estropiés, les plus chanceux feront les mêmes cauchemars que moi dans vingt ou vingt-cinq ans. Certaines nuits, je me demande lesquels seront les plus mal lotis, entre les morts et les survivants. Je connais toute lâhorreur que je leur souhaite, mais je demeure certain quâil est de leur devoir dâêtre humain de se soumettre à cela. Mais moi, jâéchapperai à leur misèreâ¦
â Tu as déjà fait ta part⦠lâinterrompit sa femme. Si tu as toujours lâintention dâaller chercher un whisky, remonte avec un généreux porto pour moi.
Renaud quitta le lit, chercha un peignoir afin de se rendre décent.
â En passant, je vais vérifier si mon cri nâa pas réveillé Nadja. Dans lâaffirmative, Georges Minou ne suffira peut-être pas à la rassurer.
â Dans ce cas, utilise un plateau et apporte-lui un verre de lait chaud. Avec un petit coin dans le lit conjugal, cela devrait suffire à la rassurerâ¦
Finalement, le cauchemar qui avait tenu le père et la mère éveillés une partie de la nuit était passé totalement inaperçu de la fillette. Si Julietta avait entendu, elle nâen laissa absolument rien paraître au moment de préparer le petit-déjeuner.
De toute façon, le sommeil souvent troublé de son patron ne faisait aucun mystère pour elle.
Pour Nadja, lâactivité précédant le sommeil retenait plutôt son attention.
â Papa, où es-tu allé hier soir?
â à une assemblée politique, du côté de Saint-Faustin.
â Avec les vêtements que tu portais au moment de sortir, je croyais que tu devais effectuer un travail très salissant.
â Dans une certaine mesure, câétait le cas. Toutefois, câétait ma dernière corvée de ce genre⦠au moins pour un long moment.
Au-dessus de son verre de jus dâorange, un regard de Virginie lui signifia quâelle espérait le voir sâen tenir à cette nouvelle résolution et cesser ses gamineries dâespion amateur.Après avoir sacrifié à lâobligation de la messe, la petite famille discuta du repas dominical. Même avec la présence dâune domestique se tirant très bien dâaffaire dans une cuisine, la famille Daigle se retrouvait très régulièrement au restaurant le dimanche midi. En plus du plaisir que ses membres y trouvaient, cela permettait à Julietta de prendre congé.
En offrant de nouvelles tables à découvrir, le séjour à Sainte-Agathe nâavait réduit en rien lâinclination de ses patrons pour les excursions
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