L'Eté de 1939 avant l'orage
à lâuniversité lourdement endettés.
Savonné à fond et bien rincé â lâodeur de son habit dâespion lui paraissait laisser une impression tenace â, Renaud sâétait levé du bain pour prendre place sur le tapis destiné à protéger le plancher de toute lâeau qui sâégouttait sous lui.
Alors quâil sâétirait afin de prendre une serviette sur lâune des barres fixées au mur, Virginie murmura un «Laisse, je vais mâen occuper» puis, à genoux devant lui, elle commença par lui essuyer les pieds pour remonter ensuite sur les jambes, les cuissesâ¦
Comme chaque fois quâelle faisait lâinventaire des charmes de son conjoint, elle sâattarda un moment sur la longue déchirure dâun bon sept ou huit pouces quâun shrapnell avait laissée dans la chair de la cuisse. Du bout de ses doigts, elle parcourut le tissu cicatriciel dâun mauvais rose. Ensuite, délicatement, la jeune femme assécha les couilles et le sexe, lui demanda de se retourner un moment, sâoccupa des fesses, du dos. Du côté droit subsistait un creux dans la chair, le point dâentrée dâune balle. Sur le devant, le projectile en sortant avait laissé une autre cicatrice à lâallure malsaine. Avec une respiration parfois un peu sifflante et une toux tenace, câétaient là les souvenirs de guerre de Renaud, accumulés en 1916-1917 lors dâun séjour pourtant plutôt court sur le front.
â Tourne!
La serviette épongea la poitrine de Renaud. Une autre cicatrice lui décorait la chair, une longue estafilade qui lui coupait un mamelon. Celle-là datait de 1925, à lâépoque où, nouvellement de retour à Québec, lâhomme se livrait pour la première fois à une enquête sur les turpitudes de ses compatriotes.
â Je suppose que je ne peux rien te dire pour te convaincre de laisser à des professionnels les entreprises dâespionnage? demanda la jeune femme en parcourant de lâindex la longue coupure.
â à tout le moins, je ne fraierai plus du côté des nazis.
Cela deviendrait trop dangereux, maintenant que jâai été identifié.
â Dans ce cas, je dois me contenter du petit morceau de sagesse qui tâhabite encore.
Elle se pencha et inclina la tête pour embrasser le mamelon meurtri, lâagaça de la langue. Lâestafilade leur rappelait les circonstances de leur rencontre. Quand elle se redressa, ses propres mamelons pointaient sous la légère robe de nuit.
Les coups de canons éclataient, si rapprochés que le bruit ressemblait à un roulement continu. Les obus pleuvaient tout autour de la longue tranchée, une interminable coupure dans le sol, de six pieds de profondeur et de moins trois de large. Chacun des soldats du régiment de lâ Oxfordshire baissait la tête. à cent pieds de lâendroit où Renaud se tenait accroupi au milieu de son peloton, un projectile tomba sur la tranchée, pulvérisant dix hommes sous lâimpact, en tuant au moins vingt autres avec les éclats de métal qui avaient volé en tous sens.
Un autre obus sâabattit à dix pieds devant lâendroit de la tranchée où il se trouvait, soulevant des tonnes de boue écÅurante, un mélange de terre gorgée dâeau et de sang et de chairs en putréfaction. Depuis deux ans, des milliers dâhommes étaient morts dans la plaine dévastée, leurs corps se mêlant au sol sans cesse malaxé par les bombardements. Sous ses yeux, le jeune lieutenant voyait dâailleurs des morceaux dâos et des rats crevés pointant dans la bouillie couvrant ses bottes.
Puis vinrent les bruits stridents des sifflets, le cri sans cesse répété:
â Ils arrivent. Soyez prêts, ils arrivent!
Les barrages dâobus annonçaient toujours une attaque. En fait, la pluie de métal ne servait quâà forcer lâennemi à se terrer dans des trous alors que les assaillants parcouraient la plus grande partie possible du no manâs land . Sâils avançaient trop vite, ou si les artilleurs avaient du mal à ajuster leur tir, eux aussi risquaient dâêtre pulvérisés.
â Ã vos armes, vite, hurla Renaud au moment de se redresser.
Cette fois, les canonniers ennemis avaient bien fait leur travail.
La
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