L'Eté de 1939 avant l'orage
rester sur un ordre de ce genre, lâavocat expliqua:
â Tu sais, câest bien possible quâÃlise regarde dans notre direction. Je la connais depuis 1925, deux ans avant ta naissance.
â Ã cette date, tu revenais dâAngleterre?
La biographie de son père représentait un objet de curiosité inextinguible. à ses yeux, onze ans en Angleterre paraissaient aussi exotiques que tous les voyages de Marco Polo en Chine.
â Câest vrai. à ce moment, nous avons collaboré pour la première fois à lâélection dâErnest Lapointe, et depuis ce temps, elle travaille pour lui à Ottawa. Je lâai vue à quelques reprises lors de mes visites au Parlement.
â Quand tu lâas connue, elle est tombée amoureuse de toi?Cette fois, les parents échangèrent des regards un peu désespérés. Ils profitaient sans doute de leur dernier été de paix: déjà insatiable au sujet des relations entre homme et femme, dans un an la gamine deviendrait une masse dâhormones déchaînées.
â Mais non, voyons. Où vas-tu chercher cela?
â Dans sa façon de te regarder.
Seule lâarrivée du dessert, une glace, parvint à détourner lâattention de Nadja. Pendant une heure les Davidowicz semblèrent glisser totalement hors de son univers. Au moment de sortir, Renaud leur adressa un petit salut de la tête.
Sentencieuse, Nadja déclara une fois sur le trottoir:
â Maintenant, cette femme est lâépouse du médecin. Il faut longtemps avant quâun homme devenu veuf puisse se remarier?
â Je ne pense pas quâil existe une limite de temps dans ce domaine.
â En tout cas, cela ne fait pas plus de quelques semaines quâelle est morte. Si Georges Minou disparaissait, je ne le remplacerais pas aussi vite.
Virginie adressa un sourire entendu à Renaud. Dans une année, peut-être moins, la fillette aurait compris que certaines personnes substituaient dans leur cÅur un mari ou une épouse toujours bien vivants. à cet égard, le gros matou châtré avait la chance dâêtre tombé sur une maîtresse très fidèle.
â Tu sais que pour un homme qui me harcèle pour que je prenne des vacances, tu ne donnes pas le bon exemple.
Virginie était venue le rejoindre sur la galerie à lâarrière de la maison, où son époux buvait une bière à petites gorgées en parcourant à nouveau Un homme et son péché , pour lui annoncer lâarrivée dâun visiteur. Le roman de Claude-Henri Grignon, truculent, dessinait un portrait des habitants des Laurentides bien différent de celui des estivants. Cela lui donnait envie de revisiter Sainte-Adèle, lâhabitat des protagonistes du roman.
â Mais ce nâest pas du travail. Tout au plus, une visite de courtoisie. Il a dit ce quâil me voulait?
â Sans doute parler de politique. Quoi dâautre?
Renaud regagna lâentrée principale, où un homme de trois ans plus jeune que lui, grand, les cheveux bruns, une moustache sous le nez, lâattendait: Paul Gouin.
â Je suis tout à fait désolé de vous déranger comme cela un dimanche, mais je me trouvais à Sainte-Agathe, quelquâun mâa dit que vous y passiez lâété.
â Ce nâest rien, je nâavais aucune intention dâaller aux vêpres⦠Je peux vous offrir quelque chose à boire?
â Non, non, je ne serai pas longtemps, de toute façon.
â Suivez-moi dans mon bureau.
Lâavocat le conduisit jusquâà la petite pièce où trônait un lourd bureau de chêne, prit place derrière après avoir désigné une chaise de rotin à son visiteur.
â Je voulais discuter un peu de politique.
â Curieusement, je ne suis pas vraiment surpris! rétorqua lâhôte avec un petit sourire narquois.
Cette répartie risquait peu de mettre Paul Gouin à lâaise.
Il se déplaça sur sa chaise, comme pour trouver une meilleure posture, puis déclara:
â Vous savez que nous aurons vraisemblablement des élections provinciales cet automne.
â Pourtant, les dernières datent de 1936. Selon la Constitution, le premier ministre nâa pas à les déclencher avant 1941.
â ⦠Vous savez sans doute que lâUnion nationale se trouve dans une situation
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