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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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plaine torturée se couvrait d’une multitude d’hommes en uniformes gris. Le son lourd des mitrailleuses se faisait entendre, ouvrant des brèches dans la muraille de poitrines. Puis les artilleurs britanniques se mirent de la partie aussi, redessinant le paysage sous les yeux du lieutenant.
    â€” Tirez, tirez. Ne les laissez pas approcher.
    Un revolver à la main, Renaud courait derrière la ligne kaki de ses hommes. Chacun appuyait les coudes dans la boue écœurante, déchargeant sa .303 Lee Enfield sur la ligne des uniformes gris, actionnant le verrou, tirant à nouveau. Les soldats ne retrouvaient la sécurité relative du fond de la tranchée que pour recharger leurs armes, ou alors pour crever.
    Personne ne visait vraiment dans ce genre d’attaque: la terreur ne leur aurait pas permis de le faire, de toute façon. Tout au plus pointait-on son arme vers la ligne ennemie pour la décharger au plus vite. Mais malgré toutes les balles gaspillées, la pluie de plomb d’un feu nourri multipliait les victimes. Lors d’une attaque de ce genre, huit assaillants sur dix se retrouvaient hors de combat. De ce nombre, deux ou trois étaient tués, les autres blessés.
    L’effort des défenseurs ne suffisait pas. Des Allemands atteignaient maintenant leur trou, déchargeaient leur Mauser dans la poitrine de leurs adversaires, sautaient dans la boue en hurlant, perçaient le corps des Anglais de leur baïonnette. Les hurlements assourdissaient Renaud, sans compter le son de son revolver. Un, deux, trois assaillants s’écroulèrent devant lui, avant que le qua-trième ne lui enfonce sa lame d’acier entre les côtes.
    Le visage de son adversaire près du sien, Renaud fixait ses grands yeux bleus, ses cheveux blonds visibles sous les bords du casque d’acier. Pas celui couvert de tissu et surmonté d’une pointe ridicule porté en 1916, mais le casque tombant bas sur le cou, d’un acier bien lisse, des armées du Reich allemand de 1939. Puis cet homme portait une croix gammée au bras, deux lettres, des «S» stylisés, en forme d’éclairs, sur les pointes du col.
    La scène se dissolvait devant les yeux d’un Renaud vieillissant qui faisait maintenant ses quarante-cinq ans, dont la gorge n’émettait plus qu’un râle sifflant. Du paysage lunaire de la Flandre, il se retrouvait sous la forêt d’épinettes des Laurentides. Le nazi abandonna son Mauser fiché dans sa poitrine, sortit son pistolet, se précipita vers une maison entourée d’une longue galerie encombrée de chaises Adirondack. Il ouvrit la porte, monta comme en glissant au-dessus des marches jusqu’à l’étage, posa la main sur la poignée de la porte de la chambre de Nadja…

    â€” Non!
    Couvert de sueur, Renaud s’était dressé à demi dans son lit. Sa poitrine se soulevait douloureusement, de façon irrégulière, émettant un sifflement à chaque respiration. Près de lui, éveillée en sursaut, Virginie cherchait le bouton de la lampe, sur la table de chevet. Puis dans la lumière tamisée, elle passa les bras autour de la poitrine de son mari en disant:
    â€” Là, là, calme-toi. Je suis tout près.
    Tout de même, Renaud ne retrouva une respiration à peu près normale que lentement, le temps de réaliser où il se trouvait vraiment. À la fin, il s’étendit à nouveau, ferma les yeux alors que sa femme lui caressait la poitrine en lui murmurant doucement à l’oreille les mêmes mots qu’elle utilisait avec Nadja les nuits de grande terreur enfantine.
    â€” Bon Dieu! glissa l’homme après un moment. Il me faut un grand verre de whisky.
    â€” Ce qui ne t’aidera certainement pas à te rendormir. Il y a plusieurs mois que tes cauchemars n’étaient pas revenus…
    Depuis vingt-trois ans, certaines nuits l’homme revivait sa guerre. Bien sûr, cela se produisait moins souvent que tout de suite après sa démobilisation. Mais jamais la paix ne lui reviendrait tout à fait.
    â€” Tu as encore une fois reçu la visite de ton soldat?
    Ses pires cauchemars mettaient en scène un jeune militaire, l’un de ses hommes abandonné blessé dans le no man’s land . À la fin, Renaud l’avait abattu pour mettre fin à ses souffrances… et pour

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