L'Eté de 1939 avant l'orage
culinaires.
Lâhôtel Laurentien se dressait sur plusieurs étages, en face du lac des Sables. La salle à manger sâouvrait sur de grandes fenêtres, la proximité de lâétendue dâeau procurait aux convives une certaine fraîcheur. Tous les trois avaient disposé leurs chaises pour faire face à lâextérieur, tournant le dos aux autres convives. Dans la pièce, les conversations se déroulaient le plus souvent en anglais: le luxe de la villégiature échappait encore à la plupart des francophones.
Derrière eux, une voix familière prononça:
â Monsieur et madame Daigle, je vois que nous avons eu la même idée.
Le trio se retourna pour apercevoir une autre famille semblable à la leur, celle-là avec un petit garçon pour compléter le triangle. Renaud se leva comme le lui demandait la bienséance, serra la main dâArden Davidowicz, puis dâÃlise Trudel. Virginie put sâexécuter en restant assise sur sa chaise.
â Je ne vous dérangerai pas longtemps, continua Davidowicz une fois les civilités échangées. Je voulais juste vous remercier encore de vos bons services. Jâai peur dâavoir été impoli, la dernière fois que nous nous sommes vus.
Cela paraissait un euphémisme à lâavocat: son client lui avait semblé bien pressé de signer le chèque qui mettait fin à leur relation pour lui faire quitter prestement la maison de la rue Davaar.
â Ce nâest rien. Jâai deviné que ce jour-là vous rêviez de prendre une douche au plus vite.
â Je vous remercie de votre compréhension.
Le médecin marqua une pause, fit mine de regarder autour de lui avant dâajouter:
â Câest une pitié que les tables soient si petites, impossible de vous inviter à vous joindre à nous. Je vous souhaite le meilleur appétit.
Le ton de sa voix, et surtout le visage dâÃlise Trudel toute raide à ses côtés, indiquaient que la taille des tables faisait plutôt figure de bénédiction. Personne parmi eux ne rêvait dâun dîner à six. Après les salutations, les Davidowicz se retrouvèrent à lâautre extrémité de la salle à manger.
â Cet homme est déjà venu chez nous, à Montréal, observa Nadja.
â Câest vrai. En mai. Il mâavait demandé dâexécuter un travail pour lui.
â Câest lui que tu as défendu. On lâaccusait dâavoir tué sa femme.
Si Renaud aimait jouer au détective, ou à lâespion, sa fille menaçait de devenir redoutable sur ce terrain. Rien nâéchappait à ses yeux de photographe.
â Nadja, ma chérie, intervint Virginie, tu sais quâil vaut mieux éviter certains sujets de conversation à table. La religion, la politique et les assassinats.
â Jamais les religieuses nâont ajouté les assassinats à la liste.
â Crois-moi, je suis certaine que si tu le leur demandais, elles seraient dâaccord avec moi.
Si sa mère lâaffirmait, la fillette voulait lâadmettre. La prohibition du sujet de conversation ne réduisait en rien son intérêt, bien au contraire. De sa chaise, elle avait la meilleure vue des trois sur la famille Davidowicz. Son regard allait vers eux régulièrement. à la fin, elle nây tint plus et murmura:
â La dame brune, elle regarde souvent par ici.
â Et je suppose quâelle dit à ses compagnons: la petite rouquine, elle regarde souvent par ici, remarqua Virginie.
â Non, je suis discrète. Elle ne sâen aperçoit pas. Je suis habile pour observer «par en dessous».
â Tu ne trouves pas que cela fait un peu hypocrite?
â En fait, elle ne peut pas me repérer, car câest toi quâelle fixe, maman.
Les yeux du couple se croisèrent, puis la mère tenta:
â Elle doit contempler la fenêtre. Tu vois toutes les jolies petites embarcations à voile sur le lac?
â Non, je tâassure, elle te regarde, et aussi papa.
Observatrice et têtue! Les parents se consultèrent encore du regard, puis Renaud risqua:
â Tout de même, cesse de les examiner. Câest très impoli de fixer les gens de cette façon.
Bien sûr, une gamine de douze ans ne pouvait passer outre à une injonction de lâauteur de ses jours. Afin de ne pas en
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