L'Eté de 1939 avant l'orage
délicate. Le soutien offert aux municipalités aux prises avec le chômage vide les caisses de lâÃtat. Les libéraux fédéraux font en sorte que la province éprouve du mal à emprunter. Seule une réélection confirmerait la légitimité de Duplessis et lui permettrait de sortir de lâimpasse.
La stratégie dâErnest Lapointe alarmait sûrement le premier ministre. La province devait verser plus de 100 000 $ par semaine à la seule Ville de Montréal afin que les chômeurs aient droit aux secours directs. Lâopération, répétée pour toutes les municipalités, devait être ruineuse.
â Et la probabilité des élections cet automne me vaut lâheureuse surprise de votre visite?
Renaud avait le chic pour mettre un visiteur mal à lâaise, si lâenvie lui en prenait. Son interlocuteur changea de position et plongea:
â Vous avez déjà pensé à briguer les suffrages?
â Quel avocat nâa pas eu cette tentation un jour? Mais en toute franchise, quand lâidée me vient, je prends deux aspirines et je retourne me coucher. Cela passe habituellement très vite.
â Pourtant, tout le monde connaît votre intérêt pour la politique.
â Celui-ci ne va pas jusquâà avoir envie de mentir sur les hustings pour aller ensuite mâennuyer à lâAssemblée.
à tourner autour du pot, Paul Gouin nâarrivait quâà faire durer une expérience désagréable. Aussi résolut-il dâabréger les choses.
â Nous avions pensé que vous voudriez peut-être vous porter candidat.
â Pour lâAction libérale nationale?
â ⦠Oui.
Paul Gouin, fils du premier ministre Lomer Gouin, avait créé ce parti politique en juin 1934 afin de rallier des libéraux insatisfaits des mesures adoptées par le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau dans le contexte de la crise. Un an plus tard, la nouvelle organisation fusionnait avec le Parti conservateur dirigé par Maurice Duplessis afin de ne pas diviser les votes des opposants au Parti libéral provincial. Si en 1935 ce ne fut pas suffisant pour emporter les élections, dès lâannée suivante, un autre rendez-vous électoral permit à lâUnion nationale de prendre le pouvoir.
Dans toute cette opération, son visiteur avait démontré quâil nâavait pas hérité des habiletés politiques de son père.
Faire équipe avec Maurice Duplessis, câétait un peu comme former un duo avec un renard et un poulet: lâun a nécessairement le dessus sur lâautre. Une fois au pouvoir, le nouveau premier ministre avait su se débarrasser des «alliancistes» et gouverner à sa guise.
â Je sais bien que vous avez été porté à la tête de votre petit parti lâan dernier, rappela lâavocat. Lâorganisation est moribonde. Vous dirigez un groupuscule à Montréal, le dentiste Philippe Hamel un autre à Québec. Vous ne ferez élire personne.
â ⦠Avec une bonne équipe, nous pourrons redresser la situation.
â Même si vous y arriviez, le seul résultat serait de gruger des appuis aux libéraux. En conséquence, Maurice Duplessis se retrouverait au pouvoir, pour le plus grand malheur du Québec. Alors mon vote ira certainement au Parti libéral.
Son chef, Adélard Godbout, sâest engagé à régler deux questions qui me tiennent à cÅur: lâobligation pour les parents dâenvoyer leurs enfants à lâécole, qui a été accordée dès 1871 en Ontario alors que nous attendons toujours, et le droit de vote des femmes. Aussi longtemps que lâUnion nationale sera au pouvoir, la province demeurera la plus rétrograde du Canada.
Paul Gouin poussa un soupir, se leva de sa chaise en déclarant:
â Je ferai tout pour vous donner tort.
â Nous jugerons aux résultats.
Quelques instants plus tard, Renaud retrouva sa bière devenue tiède et son roman.
â Quâest-ce quâil te voulait? demanda Virginie en levant les yeux de son propre roman.
â Me demander de me présenter aux prochaines élections provinciales.
â Pour lâAlliance? Que lui as-tu répondu?
â De se trouver un autre pigeon. En des termes à peine plus polis que ceux-là .Â
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La rencontre fortuite de
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