L'Eté de 1939 avant l'orage
la veille avec le nouveau couple Davidowicz avait laissé Renaud plutôt songeur. Bien sûr, les avatars de la vie conjugale de ses contemporains ne le surprenaient plus, mais ces deux-là faisaient fi de tous les usages en sâaffichant de la sorte en public. Manifestement, le médecin renonçait à tous ses espoirs politiques. Tout le monde comprendrait que sâil refaisait sa vie alors que le cadavre de son épouse demeurait encore chaud, câétait parce que son contrat de mariage avait été auparavant bien écorné.
Après déjeuner, le lundi matin lâavocat avait reconduit sa femme à la gare en compagnie de sa fille. Au moment de lui faire la bise, celle-ci lui glissa à lâoreille:
â Câest entendu, plus de jeu dâespion?
Bien sûr, son assentiment dâun mouvement de tête ne signifiait pas quâil projetait dâobtempérer tout à fait. Au moment où il revenait au chalet, le téléphone se mit à sonner.
Au bout du fil, Alfred Côté demanda:
â On peut se voir un instant? Je rentre à Montréal ce matin.
â ⦠à quel endroit?
â En fait, je suis déjà à Sainte-Agathe. Retrouvez-moi sur la rive du lac, juste à côté de lâentreprise de location de canots.
Quelques minutes plus tard, après avoir confié sa fille à Julietta, Renaud marchait sur le rivage, son chapeau de paille sur la tête, ses petites lunettes teintées de vert sur le nez. à tout le moins, dorénavant il ne sâaffublerait plus dâun déguisement. Côté, sur un banc, trompait son ennui en parcourant un journal.
â Je me suis rendu compte lâautre soir que vous nâaviez pas que des amis. Ce jeune médecin mâen a raconté beaucoup sur votre rencontre en face de lâhôpital. Il a même évoqué une histoire de tête de cochon, mais je ne suis pas certain dâavoir bien compris ce passage.
â Je me doutais quâil était là -dessous, répondit son interlocuteur, peu désireux dâajouter des détails sur cette histoire.
Il vous fera une bonne recrue.
â Jâai eu un mal de chien à le convaincre quâen ne lui permettant pas de vous casser la gueule, au fond je servais notre cause. Finalement, il a pris une carte de membre.
Malgré le ton léger quâil affichait, Alfred Côté paraissait soucieux. Il expliqua après une pause:
â Ce qui me préoccupe surtout, câest quâune chemise noire se souvienne que je vous ai amené dans les locaux du Parti. Si quelquâun établit le lienâ¦
â Vous pourrez simplement dire que jâai abusé de votre bonne foi.
â Je dirige les légionnaires, fit lâautre en se tournant à demi pour le regarder. Je suis chargé dâassurer la sécurité de lâorganisation. Ma bonne foi nâest pas censée être abusée par un professeur de lâUniversité de Montréal qui a retenu lâattention des journaux pour avoir défendu un interne juif.
Lâinformateur marqua une pause, puis ajouta, dépité:
â Jâai peur que cette histoire ne fasse éclater ma couverture.
â Désolé.
Après un moment, lâautre continua, déjà plus enjoué:
â Au pire, Bronfman utilisera mes talents dâune autre façon. Disons que trois ans comme serveur dans une taverne, câest plutôt long. Cependant, il faudra une éternité pour infiltrer une nouvelle personne, cela au moment où les événements sâaccélèrent.
â Vous ne risquez pas de connaître des ennuis⦠physiques avec le Parti de lâUnité nationale?
â Non, pas vraiment. Même si vous paraissez en douter, il ne sâagit pas dâune organisation très violente. Croyez-moi, jâai vu pire.
Un instant, Renaud se remémora les histoires qui circulaient sur les opérations commerciales des Bronfman, au moment où la prohibition de la vente de lâalcool affligeait les Ãtats-Unis. Si seulement un dixième de celles-ci étaient véridiques, Alfred Côté, en admettant que ce fût son vrai nom, devait en effet trouver Adrien Arcand plutôt inoffensif.
â Jâen conclus donc que nous nous voyons pour la dernière fois? Je peux en profiter pour vous soutirer quelques informations?
â Dites
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