L'Eté de 1939 avant l'orage
souvenait dâavoir vue. Nous nous demandions tous où vous aviez bien pu la trouver.
â Certainement pas dans le lit dâun autre, en tout cas.
Renaud avait dit cela tout en conservant son sourire, signifiant à son interlocutrice que personne ne manquerait de délicatesse envers son épouse devant lui. Ãlise ne perdit pas le sien, mais essuya durement le coup, cela se lut dans son regard. De lâautre côté de la table, Nadja enregistrait tout, Fran comprenait plus quâelle nâaurait dû. Ce fut après avoir retenu quels sujets éviter quâelle reprit, dâune voix très faible:
â Mon père est mort un peu plus dâun an plus tard. Il nâa jamais récupéré.
Bien sûr, le sous-entendu se voulait accusateur: si Renaud ne sâétait pas mêlé alors de tirer au clair une malheureuse affaire de meurtre, le politicien québécois, ministre dans le cabinet provincial, nâaurait sans doute pas subi un infarctus.
Sortant des rapports empesés quâils avaient entretenus jusque-là , Ãlise tenait à vider un vieux contentieux, même si le lieu et le moment nâétaient pas des plus propices.
â Il arrive parfois que les imprudences des fils nuisent à la quiétude des pères. à ce sujet, que devient votre frère Henri?
â Oh! Je vous disais en 1926 quâil souhaitait continuer ses études aux Ãtats-Unis, pour ensuite devenir riche. Il a pu réaliser son premier objectif⦠Quant au second objectif, le chargé dâaffaires de papa nâétait pas très clairvoyant.
Elle tenait vraiment à régler ses comptes. Aussi elle enchaîna après une brève pause:
â Nous avons perdu la majeure partie de nos épargnes au moment du krach de 1929. Quant à vous, il paraît que la crise vous a été profitable?
â Vous savez, je ne possédais pas plus dâinformations que les autres investisseurs. Le marché ne peut pas monter sans cesse. Le tout est de prévoir les coups, de retirer ses billes au moment opportun. Mais outre le sort de la fortune familiale, quâest-il advenu du projet de votre frère de sâenrichir?
â Il a eu moins de succès que vous. Tout de même, il fait partie dâun cabinet dâavocats important de Boston. Sa femme, devenue énorme après ses grossesses nombreuses, passe sa vie à répéter toutes les rumeurs qui circulent dans la communauté irlandaise de cette ville.
La très jolie Helen, avec laquelle Renaud sâétait langui de partager des privautés, devenue grosse! Lâarrivée du repas commandé par Ãlise et le jeune Davidowicz autorisa chacun à sâagiter les mâchoires pour une autre raison que se dire des méchancetés à mots couverts. Les enfants purent échanger quelques paroles, tout en gardant une oreille tournée vers les adultes. Finalement, la femme reprit le sujet des récriminations dâune voix plus sereine:
â Honnêtement, malgré la crise, mon frère Henri a réussi à se tirer dâaffaire assez bien. Cela lui a permis dâaider ma mère et mes deux frères alors que nos finances étaient au plus mal.
â Ces deux-là aussi sont devenus avocats?
â Câest une tare familiale. Ils sont respectivement sortis de lâuniversité en 1932 et en 1934. Même le Parti libéral nâa pas pu leur mettre le pied à lâétrier. Ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment.
En effet, la conjoncture sâétait révélée funeste, mais en plus, aucun parti politique ne se serait forcé à venir en aide aux garçons plutôt médiocres dâun politicien décédé depuis des années. Les morts ne rendaient pas de service, mieux valait garder les largesses du gouvernement pour les vivants.
â Tout de même, ils arrivent à se tirer dâaffaire.
Les avocats ne se trouvaient pas en assez grand nombre au Québec pour que Renaud ne sache pas ce quâil advenait des frères Trudel, les fils dâun ministre démissionnaire du cabinet provincial mort en 1927. Ils plaidaient des causes minables, des chicanes de clôture entre cultivateurs aux mauvais garçons des quartiers mal famés de la capitale à sortir du pétrin.
Trahissant lâeffort que cela lui coûtait, par la suite Ãlise
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