L'Eté de 1939 avant l'orage
on me demande de me rendre utile, jâaccepterai. Ce que jâai expliqué à Nadja, ce que tu viens de me rappeler si gentiment, demeure bien vrai. Je deviens trop vieux pour la moindre action militaire.
Virginie leva un bras jusquâà passer sa main dans ses cheveux.
â Tu as une famille à protéger. Jâaimerais que tu tâabstiennes.
â Je suis profondément convaincu que la meilleure façon de protéger les familles, la mienne et celle des autres, au Canada et partout en Europe, est dâarrêter Hitler. Tu sais que son gouvernement martyrise les Juifs, les communistes, les socialistes, les homosexuels aussi. Toi qui votes pour le Cooperative Commonwealth Federation de monsieur Woodsworth, ton ami Ãmile qui sâentiche des charmes masculins, seriez du nombre des victimes. Selon des fonctionnaires des services diplomatiques avec qui jâai eu des conversations, il semble que les enfants arriérés ou infirmes figurent aussi parmi les cibles des nazis. Ils sont assassinés.
â Tu nâes pas sérieux?
Son mari lâétait tout à fait. Tout ce système haineux se tenait. Comment tolérer que des êtres inférieurs déparent la race des seigneurs, si bellement mise en scène par Leni Riefenstahl dans le film Le Triomphe de la volonté ? Le Théâtre Outremont avait fait recette avec cette monstruosité. Les faibles et les malades dâAllemagne devaient mourir.
â Tu ne partages pas le désir de neutralité militaire de tes compatriotes⦠Je parle des Canadiens français, précisa-t-elle avec un demi-sourire.
â Si mes compatriotes veulent sâisoler dans un petit îlot fasciste en Amérique du Nord, je préférerais émigrer. Sâils souhaitent appartenir au monde civilisé, impossible pour eux de ne pas jouer leur rôle dans les affaires internationales.
â Tu ne te rapprocheras pas de ceux de tes collègues qui espèrent te voir ailleurs quâà lâuniversité.
Cela se pouvait bien. Pendant un moment, Renaud laissa les doigts de sa main gauche parcourir toute la partie du corps de Virginie se trouvant à sa portée. Au bout dâun moment, la jeune femme interrogea:
â Tu connais Arden Davidowicz?
â Le député? Je lâai croisé quelques fois à Ottawa. Ã
Montréal aussi, lors dâactivités du Parti libéral. Pourquoi?
â Il mâa demandé sâil pouvait te rencontrer dimanche. Je lui ai dit oui.
â Il tâa rendu visite au cinéma?
â ⦠Je suis allée le consulter.
Soudainement inquiet, lâhomme posa sa main sur la joue de sa compagne, lui tourna la tête pour lui voir les yeux au moment de sâenquérir:
â Consultation, comme dans «consulter un médecin»?
Es-tu malade?
â Non, en parfaite santé. Je nâai aucune raison physique de ne pas tomber enceinte.
â Oh! Virginie, encore une foisâ¦
Renaud ajouta la caresse des cheveux à celle de la joue.
â Pourquoi te torturer avec cela?
â Je ne tâai pas donné de garçonâ¦
â Ai-je déjà dit, ou fait quelque chose, qui te permette de penser que je regrette dâavoir une fille?
â Non, bien sûr que non. Mais tous les hommes veulent un héritier, ne serait-ce que pour perpétuer leur nomâ¦
De la joue, le bout des doigts de Renaud glissa jusquâau menton, effleura le cou, détacha les deux premiers boutons de la robe de sa femme. La seule lampe demeurée allumée dans la pièce jetait une lumière tamisée. Quand la paume de sa main enveloppa son sein droit, tiède et doux, il répondit à voix basse:
â Je vais te confier un secret. Tous les hommes veulent un certain nombre de choses, dont un héritier mâle, bien sûr.
Mais ils veulent aussi un travail qui leur permet de bien vivre, eux et leur famille, une ou plusieurs petites filles gentilles comme tout. Un verre de porto ou de whisky de temps en temps embellit leur vie. Ajoute à cela une jolie femme à qui caresser les seins dans la quiétude de leur salon. Si en plus la dame ne rechigne pas à prendre leur sexe dans sa bouche, et quâelle accepte que le monsieur lui rende la pareille avec application, voilà notre homme près de lâextase. Alors nâexagère pas lâétendue de mon malheur.
â Heureusement
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