L'Eté de 1939 avant l'orage
marquait la fin de la vie scolaire. Née ailleurs quâà Outremont, Nadja aurait cherché un emploi comme domestique, ou encore dans une usine. Avec un peu plus de chance, elle aurait consacré son temps à aider sa mère dans lâentretien de la maison en attendant le jour de son mariage. Ses parents bourgeois lui concoctaient un tout autre avenir.
â Tu es toujours résolue à poursuivre des études classiques?
â ⦠Oui, si ce nâest pas trop cher.
La radio et les journaux évoquaient les affres de la crise économique depuis quâelle était en âge de comprendre. Cela la laissait vaguement inquiète, malgré les efforts de ses parents pour la rassurer.
â Au Mont-Jésus-Marie?
Renaud lui avait proposé un collège laïque tenu par des Français et une école secondaire privée de langue anglaise, afin de la mettre un peu à lâabri de lâavalanche de bondieuseries qui sâabattaient sur elle, sans succès.
â Oui, la plupart de mes amies iront là .
â Entendu pour Jésus-Marie.
Renaud lui tendit la main pour sceller cet accord. La grande bâtisse de pierres grises située au flanc du mont Royal présentait un seul avantage: la proximité. Elle pourrait effectuer le trajet à pied les jours de beau temps. Et si jamais les nouveaux édifices de lâUniversité de Montréal finissaient par être complétés, il pourrait la déposer à lâaller en se rendant au bureau et la reprendre au retour. Mais les travaux, commencés dans les années 1920, étaient interrompus depuis des années à cause des difficultés économiques. Dâailleurs, lâUniversité risquait plus que jamais de faire une faillite retentissante! Le seul espoir demeurait que le gouvernement provincial sauve lâétablissement.
â Bon, monte chercher un châle. Le roi dâAngleterre tâattend.
Le roi coûtera $500 la minute à Outremont
La visite du roi va coûter une somme voisine de $10,000 à la cité dâOutremont, a déclaré aujourdâhui à la «Patrie»
un haut fonctionnaire de cette municipalité. Comme les souverains passeront exactement 20 minutes dans cette ville, on peut aisément calculer que les dépenses, somme toute, seront à raison de $500 la minute.
La Patrie , vendredi 12 mai 1939 . [1]
Le roi George VI et sa femme venaient de descendre dâune immense limousine noire stationnée devant les escaliers de lâhôtel de ville de Montréal. Très mince, assez grand, le souverain paraissait tout sourire. Son épouse, coiffée dâun chapeau ridicule, ressemblait à une bourgeoise endimanchée, des vêtements dispendieux, mais sans élégance, sur le dos. àleurs côtés se tenait Ernest Lapointe, le bras droit canadien-français du premier ministre William Lyon Mackenzie King.
La soixantaine, bâti comme un colosse, il jouait le cicérone du couple royal sous les yeux de ses compatriotes. Dès que les visiteurs passeraient la frontière de lâOntario, un autre politicien tenterait de se faire du capital politique en assumant le même rôle.
â Il sâagit dâun véritable roi? demanda Nadja en tirant sur la main de son père.
â Bien sûr. Le roi dâAngleterre, dâÃcosse, dâIrlande, enfin, dâun morceau de lâIrlande, du Canada, de lâAustralie, de la Nouvelle-Zélande, de parties dâAfrique et dâAsie. Jâen oublie dans la liste⦠Ah! Empereur des Indes aussi.
â Câest beaucoup!
â Son pays a souvent fait la guerre pour accaparer tout cela, précisa Renaud.
â Comme celle contre la Nouvelle-France?
â Oui, cette guerre-là aussi.
Impressionnée, la fillette ne semblait pas admirative pour autant.
â Et la dame avec lui, câest la reine?
â Oui, la reine Elizabeth.
â Elle a des enfants?
â Deux filles, Elizabeth et Margaret Rose. La première occupera le trône à la mort de son père.
La gamine fit un signe approbateur de la tête. Renaud lui expliquerait une autre fois que la jeune Elizabeth deviendrait un jour la véritable reine, pas seulement lâépouse du roi, comme sa mère. Depuis une bonne heure, parmi des centaines de badauds, ils attendaient sur le trottoir. Tout cela pour assister à la scène
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