L'Eté de 1939 avant l'orage
qui se déroulait sous leurs yeux.
Un personnage plutôt grotesque descendait les marches de lâhôtel de ville: chauve, ridiculement obèse, son visage mobile fendu dâune large bouche. Autour du cou, il portait un lourd collier doré. Camillien Houde, le maire de Montréal, resplendissait sous les éclairs des flashs des photographes.
Ancien chef du Parti conservateur du Québec, un poste que lui avait ravi Maurice Duplessis quelques années plus tôt, lâhomme siégeait encore à lâAssemblée provinciale à titre de député indépendant. Malgré tous ses efforts, il nâarriverait pas à empêcher la mise en tutelle de la ville dans quelques semaines. La municipalité, acculée à la faillite par le coût des secours directs consentis aux chômeurs depuis la décennie que durait la crise, ne pouvait plus faire face à ses obligations.
Après les poignées de main, les inclinations profondes de la part des politiciens montréalais, la brillante compagnie gravit les marches de lâédifice. Avant de passer la lourde porte de lâhôtel de ville, George VI pivota sur lui-même, adressa des sourires à la foule compacte sur les trottoirs et la chaussée. La reine Elizabeth, plus discrète, y alla aussi de marques dâamitié.
â Tout cela parce quâil veut nous engager dans sa guerre! sâexclama une voix en colère, derrière Renaud.
Quand tous les notables se furent engouffrés dans le magnifique édifice de pierres grises, les badauds commencèrent à se disperser. Alors quâils se dirigeaient vers la Packard stationnée dans une petite rue voisine, la fillette tira à nouveau sur la main de son père avant de demander dâune voix blanche:
â Cet homme disait vrai?
â Tu veux dire à propos de la guerre?
Elle lui adressa un grand mouvement de tête. Renaud sâarrêta pour la regarder. Son ton exigeait quâil lâécoute et lui réponde le plus précisément possible.
â Oui, je crois quâil avait raison. Le roi essaie de rallier ses amis, car la menace dâun conflit en Europe sâintensifie.
Mais il nây aura pas de combats au Canada. Tu sais que câest loin, lâEurope?
â De lâautre côté de la mer.
Ils se remirent en marche. Nadja ne se trouvait quâà moitié rassurée:
â Mais toi, tu nâiras pas?
â Non, tu réalises bien que je suis trop vieux pour cela.
Son ton faussement joyeux ne la trompa pas du tout.
â La dernière fois, tu as combattu.
â Jâétais jeune à ce moment. Maintenant, je deviens trop âgé. Ton vieux papa ne ferait pas un bon soldat. Personne ne voudrait de lui.
â Mais tu tâen mêleras? Tu nâaimes pas les Allemands.
â Je nâai rien contre les Allemands, tu sais. Leur gouvernement fait des choses terribles aux gens. Il faut lâarrêter. Si je peux aider, je le ferai, mais je nâirai pas me battre.
Quand ils atteignirent lâautomobile, la gamine demeurait songeuse. George VI était arrivé la veille à Québec, le 17 mai 1939. Le couple royal passerait deux jours à Montréal. Les journaux prétendaient que deux millions de personnes viendraient à un moment ou lâautre dans la ville pour lâapercevoir lors de lâun des événements officiels, dont une longue parade dans une voiture découverte, parade qui se terminerait par un arrêt devant des Canadiens en liesse au stade Molson de lâUniversité McGill. Le monarque se rendrait ensuite jusquâaux Rocheuses pour rallier les Canadiens à sa cause. Dans la presse, des articles interminables faisaient état de pourpar-lers entre lâAllemagne et lâItalie. Très bientôt, les deux pays scelleraient leur amitié par le pacte dâAcier. Chaque camp mesurait ses forces, se rapprochait de ses alliés, en attendant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale.
La foule montréalaise acclame et admire les souverains du Canada
Sous un ciel magnifique, les Montréalais comblent les rues Heures trop brèves
Vision de rêve â Douces images â «On nâa pas eu le temps dâassez les voir»
Le Devoir , 19 mai 1939.
Parce quâelle passait ses journées au cinéma et abandonnait à Julietta la responsabilité
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