L'Eté de 1939 avant l'orage
pas très différent de la dernière fois.
â Mais câétait lâannée dernière. Les travaux ont certainement progressé.
Virginie avait plutôt songé à se rendre sur le belvédère situé du côté sud de la montagne afin de profiter un moment de la vue sur le fleuve Saint-Laurent et les collines de la Montérégie. Elle en serait quitte pour marcher parmi les briques et les planches abandonnées sur un chantier désert.
Quelques instants plus tard, lâautomobile sâengageait dans un mauvais chemin de terre conduisant au site de la future Université de Montréal. La grande bâtisse plutôt majestueuse imaginée par lâarchitecte Ernest Cormier avait fière allure avec son revêtement de briques jaune pâle. Lâintention de la direction de lâétablissement avait été de donner un cadre magnifique à la vie intellectuelle catholique et française de la province. Bien sûr, alors que lâUniversité McGill sâimposait comme lâune des meilleures institutions dâéducation supérieure dâAmérique du Nord, il fallait que la majorité de la population signale son existence à lâattention du monde.
Cependant, la communauté canadienne-française ne comptait pas beaucoup de grands capitalistes susceptibles de céder quelques millions pour avoir la satisfaction de voir leur nom sur un bel édifice de pierres grises⦠ou de briques jaunes.
Pendant les années 1920, toute lâÃglise catholique de langue française sâétait mobilisée afin de doter la «race» dâune institution de haut savoir digne dâelle. à coup de dollars lors de quêtes organisées sur le parvis des églises, ou de chèques de dix ou vingt dollars reçus des lecteurs du Devoir et de tous les périodiques nationalistes lors de grandes campagnes de souscription, les fondations du magnifique édifice, puis les murs extérieurs, sâérigèrent à un rythme rassurant.
Puis la crise frappa en 1929! Plus aucun chèque nâarrivait dans les coffres, même les dollars se raréfiaient.
â Tu avais raison, cela nâa pas beaucoup avancé, admit Nadja en ouvrant la portière quand lâauto fut arrêtée.
Mais lâarrêt des travaux nâallait pas les dispenser dâune petite marche, cela malgré leurs souliers blancs fraîchement polis et leurs gants de dentelle, des vestiges du costume obligatoire pour la grand-messe. Virginie emboîta le pas à la petite exploratrice. Celle-ci ne serait pas satisfaite avant dâavoir longé la clôture faisant le tour du chantier. Si jamais elle trouvait une ouverture â une éventualité bien probable â, la mère ne pourrait éviter de se rendre complice dâune entrée par effraction.
â Câest toujours à cause de la crise, si la construction est arrêtée? interrogea la fillette.
â Malheureusement oui.
â Cela ne va pas mieux?
Le ton trahissait une certaine inquiétude.
â Les choses allaient mieux il y a deux ans. Maintenant, lâéconomie paraît encore menacée par un ralentissement.
â Et nous, comment allons-nous?
â Tu sais, ton père est très prudent. Ne tâinquiète pas.
â Tout de même, il y a plein de gens qui souffrent.
Que répondre à cela? Tous les jours, les journaux parlaient du chômage, de lâincapacité de la Ville à faire face aux coûts des secours directs. Très bientôt, les coffres de Montréal seraient tout à fait vides.
En fait, la crise privait lâUniversité de Montréal non seulement des dons du public, mais aussi de ses étudiants. Malgré lâaugmentation de la population en âge de la fréquenter, lâeffectif avait décru au cours des deux dernières années. Le coût de la scolarité, ainsi que celui de la pension pour les personnes habitant à lâextérieur de Montréal, pesait trop lourd pour lâimmense majorité des parents canadiens-français. Cela sans compter quâavant dâatteindre les études supérieures, les jeunes gens devaient avoir parcouru tout le cours classique, dâune durée interminable, dans une institution privée, donc coûteuse. Quelle ironie de penser que leurs compatriotes de langue anglaise, plus riches,
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