L'Eté de 1939 avant l'orage
premier ministre King quelques mois plus tôt pour lui dire que lâacceptation au pays dâun seul réfugié juif du navire Saint-Louis entraînerait des émeutes dans la provinceâ¦
Ensuite, le ministre de la Justice, Ernest Lapointe, commença un long discours sur la nécessité, pour le Canada, dâapporter son soutien aux alliés. Au moment où Renaud leva les yeux, ce fut pour apercevoir, de lâautre côté de la galerie réservée aux spectateurs, Ãlise Trudel, un regard glacé fixé sur lui. Dâun seul coup, la certitude quâelle avait tué une rivale dâune balle dans la nuque sâimposa à lui.
Sur le parquet de la Chambre, Ernest Lapointe enchaîna en évoquant la Proclamation qui, le lendemain, au moment de sa publication dans la Gazette officielle , établirait un état de guerre entre le Canada et lâAllemagne. Jusque-là , tout le monde avait parlé de conflit appréhendé. Pourtant, lâavocat nâentendait plus. Dans son esprit, un film repassait sans cesse: une femme quâil avait estimée pendant des années sonnait à une porte, évoquait un prétexte quelconque pour entrer, profitait du fait que Ruth Davidowicz lui tournait le dos pour sortir de sa poche un petit revolver et lui tirer une balle dans la nuque! Pouvait-on se tromper autant sur quelquâun?
Quelle immense solitude lâavait conduite à cette extrémité?
Le souffle coupé par lâhorreur, les oreilles bourdonnantes, il la chercha de nouveau des yeux.
Quand le regard de lâavocat revint à la galerie, la meurtrière avait disparu. Renaud aurait dû sâélancer, tout tenter pour lâarrêter, le temps que les services de police soient alertés. Pourtant, jusquâà la fin du discours du politicien, il demeura paralysé. Ce ne fut quâau moment où celui-ci reprit sa place au premier rang avec les ministres, tout juste à côté du premier ministre King, quâil se leva enfin et quitta les lieux.
Machinalement, lâhomme se dirigea vers le bureau de Lapointe. Dans la salle servant dâantichambre, du corridor il entendit Farah-Lajoie demander à la nouvelle secrétaire:
â Rien de précis, madame. Tapez seulement une série de mots comprenant des «t» et des «m». Tenez, pourquoi pas les mots «toutes les têtes de mamans», répétés sans cesse.
Quand Renaud entra dans la pièce, la jeune femme faisait cliqueter sa machine à écrire au rythme dâune mitraillette.
Après deux minutes, elle tendit à lâenquêteur une feuille où courait sur cinq ou six lignes la petite phrase dénuée de sens.
â Madame, intervint lâavocat à son tour, pourrions-nous aller dans le bureau du ministre? Nous devons parler un momentâ¦
â ⦠Non. Je suis désolée, mais même si je sais qui vous êtes, trop de documents secrets se trouvent là .
â Vous avez tout à fait raison. Alors pouvez-vous nous désigner un endroit un peu discret?
â Il y a une petite pièce un peu plus loin dans le corridor.
Je vais vous ouvrir.
Quelques minutes plus tard, dans une salle de réunion, lâenquêteur sortait de son porte-documents les trois missives intimidantes reçues par Davidowicz, une règle dâacier et une grande loupe. Son premier souci fut de tracer un trait très mince à la base de lâune des lignes que la secrétaire venait de taper pour eux. Ensuite, avec le verre grossissant, il la soumit à un examen minutieux.
Après un instant, Farah-Lajoie poussa la feuille et la loupe devant Renaud, de même que lâune des lettres menaçantes, aux fins de comparaison.
â Câest la même machine. Les «t» sont toujours un peu plus hauts que les autres lettres, et il y a une petite fissure dans la boucle du «m». Ãlise Trudel a envoyé trois missives écrites à la dactylo, sans doute aussi deux autres rédigées à la main.
â Et toutes les autresâ¦
â Venaient probablement de personnes qui nâaiment pas les Juifs. Ce nâest pas une rareté dans notre pays, ces derniers temps. Nous nous rendons voir cette dame?
â ⦠Je vous guide jusque chez elle. Auparavant, je veux avertir Lapointe que nous allons lui présenter un rapport tout à lâheure.
Les deux hommes
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