L'Eté de 1939 avant l'orage
revinrent au bureau du ministre afin de dire à la secrétaire quâils tenaient absolument à voir le politicien à son retour de la Chambre. «Dites-lui que cela concerne une affaire policière de la première importance», ajouta lâavocat, désireux de se montrer plus convaincant.
à la sortie du Parlement, les deux hommes purent prendre un taxi pour se rendre à lâappartement de la rue King Edward.
Même sâil nâétait venu quâune seule fois, la nuit, Renaud identifia lâimmeuble sans trop de mal. à lâétage, il frappa discrètement à la porte, puis, face à lâabsence de réponse, de plus en plus fort. Après un moment, une voisine ouvrit sa propre porte à moitié, hésitant entre la colère et la crainte.
â Je suis désolé, madame, sâexcusa lâavocat en soulevant son chapeau devant elle. Nous devons absolument parler à madame Trudel. Une urgenceâ¦
â ⦠Jâai bien peur quâelle soit absente. Elle est passée en coup de vent il y a trois quarts dâheure au moins, pour repartir tout de suite avec une valise. Un taxi lâattendait dans la rue. Quand je lâai croisée, elle mâa dit être sur le point de partir en voyage pour quelque temps.
Renaud lui avait donné une heure dâavance, en ne tentant rien pour lâarrêter à la galerie des spectateurs, puis en négligeant dâévoquer sa présence devant lâenquêteur. Un peu pour se disculper, il mentit à son compagnon:
â Peut-être vous a-t-elle aperçu tout à lâheure, dans les corridors du Parlement. Elle est le genre à suivre les débats de la Chambre.
â Depuis la photographie à Sainte-Agathe, elle sait que je suis à ses trousses. Comme pour Davidowicz, je nâarrête pas les suspects, dans cette affaire, je les mets en fuite.
â Si nous allions à la police, ils pourraient surveiller dans les gares, sur les routes aussi, si Ãlise Trudel utilise une automobile.
â Il nâexiste aucun mandat dâarrêt contre elle. Les policiers ne pourraient rien faire.
Ces mots enlevèrent un poids des épaules de Renaud Daigle. Son défaut dâagir ne causerait pas une réelle différence dans le sort de cette suspecte. Sâil lâavait retenue, cela nâaurait pas entraîné lâarrestation de cette femme, mais peut-être la sienne.
â Nous nâavons rien de mieux à faire que de retourner au Parlement et attendre Ernest Lapointe, dit-il à la fin.
Quand une bonne demi-heure plus tard les deux hommes atteignirent lâentrée principale de lâédifice gothique du Parlement, des députés tout excités sortaient des lieux. Aucun ne pouvait deviner que leur décision avait scellé le sort de leurs compatriotes pour les cinq prochaines années.
Déjà revenu à son bureau, le politicien les fit entrer tout de suite en déclarant:
â Monsieur Daigle, quand ma secrétaire a parlé dâune affaire policière, jâai immédiatement pensé à Davidowicz, en me disant que cette histoire-là avait été réglée il y a des semaines. Maintenant que je vous vois avec monsieur Farah, le célèbre détective de Montréal, je me doute que ce nâest pas le cas.
Le ministre affectait un air faussement joyeux. Après avoir pris une décision qui provoquerait la mort de milliers de personnes, sans doute pouvait-il évoquer un seul cadavre à la légère.
â Il y a plusieurs semaines, jâai demandé à monsieur Farah de mâaider, car une fois Davidowicz tiré dâaffaire grâce à son alibi, la police dâOutremont ne paraissait pas encline à chercher un coupable du côté des fascistes.
â Et pour cette inquisition, vous étiez mandaté par Davidowicz?
â Non, par une personne désireuse dâétablir la vérité. Je ne vous la nommerai pas, question de secret professionnel.
â Et aujourdâhui, vous voulez me faire connaître les résultats de lâenquête, je présume? Ne serait-il pas opportun de rendre plutôt des comptes à lâindividu qui vous a embauché?
Depuis plusieurs jours, cela embêtait Renaud Daigle. Bien sûr, son devoir était de parler à Samuel Bronfman, mais les conséquences politiques de ce
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