L'Eté de 1939 avant l'orage
celle dâengager militairement son pays dans le conflit.
André Laurendeau venait de poser en quelques phrases la base de son différend idéologique avec Renaud Daigle. Pour lâavocat, il ne sâagissait pas dâune querelle entre pays dâEurope, mais dâune gangrène intellectuelle qui, si on lui laissait libre cours, tuerait tout lâhéritage humaniste des derniers siècles. Ses compatriotes se perdaient dans la contemplation de leur petit nombril tribal, pour clamer que le conflit ne les concernait pas! Les nazis avaient commencé leur règne par des autodafés de livres et des persécutions envers les intellectuels. Albert Einstein et Thomas Mann se trouvaient tous les deux aux Ãtats-Unis pour participer à une exposition universelle érigée à la gloire du capitalisme, menacés de mort dans leur contrée dâorigine. LâAllemagne avait comme ministre de la Propagande un homme qui déclarait, lorsquâil entendait le mot culture, ne connaître quâune envie, celle de sortir son pistolet. Un régime pareil présentait une menace pour la terre entière!
André Laurendeau, sur la scène, termina son petit sermon abstentionniste. Comme la veille lors dâune réunion au marché Saint-Jacques, comme le lendemain ou le surlendemain au marché Bonsecours ou au parc Lafontaine, les ténors du mouvement national, pour la plupart de droite, se succédèrent après lui. Chaque fois, les mêmes personnages en faisaient les frais: Paul Gouin, animateur du groupuscule de lâAction libérale nationale après son divorce avec Maurice Duplessis; René Chaloult, élu sous la bannière de lâUnion nationale en 1936, candidat libéral en 1939, député nationaliste plus tard; Gérard Picard, président de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada; Gérard Filion, président de lâUnion catholique des cultivateurs; François-Albert Angers, professeur à lâÃcole des hautes études commerciales.
Tous convaincus quâil valait mieux pour les Canadiens français regarder lâavancée des nazis en Europe depuis le confort de leur foyer.
à la fin de la soirée, ce ne fut pas par hasard que Renaud Daigle rencontra André Laurendeau: il lâavait cherché dans les coulisses. En lui posant la main sur lâépaule, il murmura à son oreille:
â Jâaimerais mâentretenir un moment avec le directeur de la revue LâAction nationale . Je crois que vous occupez toujours ce poste.
â ⦠Monsieur Daigle, si câest pour me proposer de devenir membre de notre mouvement, nous avons déjà joué à ce jeu. Je préfère mâabstenir, cette fois.
â Mais il ne sâagit plus dâun jeu. Nous sommes présentement régis par la Loi des mesures de guerre . Si vous me prêtez la clé du petit local sous lâescalier, jâirai vous attendre là .
Lâautre hésita un long moment, puis chercha dans sa poche une clé pour la lui donner. Après quelques minutes dâattente, assis sur la même chaise que lors de sa première visite, il vit André Laurendeau arriver flanqué dâAnatole Vanier.
â Je constate que cette fois monsieur Pouliot ne se trouve pas avec vous, commença-t-il.
â ⦠Il ne se sentait pas très bien, plaida Laurendeau.
â Sans doute lâabus de la tête de porcâ¦
Devant les yeux chargés dâincompréhension des deux hommes, lâavocat continua:
â Ma femme me dit de cesser de faire des blagues que je suis le seul à comprendre. Toutefois, si vous la répétez au doyen Pouliot, lui saisira très bien lâallusion. Vous devriez vous asseoir.
Laurendeau et Vanier se consultèrent du regard, surpris de se faire traiter en visiteurs dans leurs propres locaux.
Quand ils eurent pris place sur les chaises en face de lâavocat, celui-ci abandonna son ton badin et commença:
â Je suis heureux de constater que le livre La Réponse de la race ne se trouve plus sur vos tablettes. Croyez-moi, pour quelque temps des lectures de chevet de ce genre se révéleront plus compromettantes que LâAmant de Lady Chatterley , ou même les Åuvres complètes de Restif de La Bretonne. Je viens vous dire un mot à titre de responsable francophone du Bureau de la censure. Prenez
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