L'Eté de 1939 avant l'orage
tout en lançant des crachats ou des coups de pied à leurs victimes.
â Sales Youpins! Nous allons nettoyer lâAllemagne avec votre sang, hurlait un officier des sections dâassaut, ces fameuses chemises brunes maîtresses des rues depuis des années.
La terreur de Myriam Bernstein et de Rebecca Goldberg avait monté dâun cran encore, les laissant hébétées. Au moins, elles ne pleuraient plus. Sur le trottoir, le petit groupe devait éviter le verre brisé des vitrines défoncées. Les murs des édifices portaient des croix gammées, des étoiles de David, des insultes le plus souvent scatologiques et le mot Dachau. Déjà , ce camp avait accueilli des dizaines de milliers de Juifs, des centaines étaient morts. Bientôt, ils seraient des millions à connaître ce sort.
â Vous autres, pourquoi êtes-vous si pressés?
Un homme vêtu dâune chemise brune, le visage traversé dâune vilaine cicatrice, bloquait le chemin à Goldberg et à ses compagnons.
â ⦠Nous devons embarquer sur un navire. Le taxi ne pouvait pas passer, il nous faut continuer à pied.
â Vous ne seriez pas des Juifs?
Sans habit traditionnel, les joues glabres, rien ne distinguait ces gens des autres Allemands, sauf la peur qui liquéfiait leurs intestins et une sueur malsaine. Un jour plutôt froid et sombre du printemps de 1939, cela pouvait les trahir aussi facilement quâun caftan, ou même quâune simple kippa.
â Mais non, plaida Goldberg dâun ton désespéré. Nous sommes de vrais Aryens.
Tout près, deux hommes sâétaient mis en tête de raser la longue barbe blanche dâun Israélite avec un couteau à cran dâarrêt. Le sang qui coulait sur les joues de leur victime témoignait de lâinefficacité de lâoutil.
Avant que la chemise brune nâait eu le temps dâouvrir à nouveau la bouche, une pluie froide commença à tomber. Lâofficier se détourna dâeux pour lancer à sa troupe:
â Allez, on rentre. Si ces commerces ouvrent à nouveau leurs portes, nous reviendrons!
En essayant de se fondre aux murs, sous une pluie froide et drue, le petit groupe de fuyards reprit son chemin. Cette fois encore, ils sâen tiraient. Une heure plus tard, trempés jusquâaux os et exténués, ces Juifs atteignaient lâembarcadère du port de Hambourg, sur lâElbe, juste un peu avant le moment de lâappareillage. En ce samedi 13 mai 1939, le paquebot Saint-Louis larguait ses amarres avec à son bord neuf cent sept Juifs. Chacun avait sacrifié ses dernières ressources pour payer son passage et se procurer un visa de touriste du gouvernement de Cuba. Tous espéraient descendre à La Havane.
Quand le port de Hambourg sâestompa à lâhorizon, Myriam Bernstein et Rebecca Goldberg cessèrent de pleurer. En plein Atlantique, elles réussiraient même à esquisser un sourire.Â
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Malgré ses bas de soie, les étriers dâacier paraissaient bien froids contre la plante de ses pieds. Quelle posture ridicule, songea-t-elle, couchée sur le dos, les genoux relevés vers la poitrine, un homme avec une petite lampe au front penché dans le grand ciseau de ses cuisses. Après cela, il ne pourrait plus douter quâelle fût une véritable rousse! Puis la sensation horripilante du speculum dans son sexe, lâimpression dâécartèlementâ¦
Quand le médecin retira lâinstrument pour se redresser enfin, la jeune femme éprouvait le sentiment dâavoir été contrainte dâadopter cette position grotesque pendant des heures. Pourtant, le docteur Davidowicz avait procédé aussi vite que le lui permettait sa conscience professionnelle.
â Vous pouvez remettre vos vêtements et venir me rejoindre à côté.
En enlevant la bande de caoutchouc retenant la petite lampe contre son front, le praticien vérifia si sa kippa se trouvait toujours bien en place à lâarrière de son crâne. Il rangea ses instruments sans perdre de temps, passa de lâautre côté du rideau qui divisait son bureau en deux.
Une fois seule, Virginie se troussa à nouveau pour remettre sa culotte et rattacher ses bas au porte-jarretelles. Un coup dâÅil dans un miroir placé à lâécart lui permit de sâassurer que sa jupe
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