L'Eté de 1939 avant l'orage
verts.
Son vis-Ã -vis rougit un peu avant de dire:
â Je sais, je suis terriblement impoli. Mais je devrai retourner à Ottawa dès lundi matin pour la suite des travaux parlementaires. Croyez cependant que je gâcherai la journée de votre époux pour un motif très noble.
â Je suppose quâil ne vous en voudra pas trop de mettre en danger le salut de son âme. Je vous ai donné notre adresse tout à lâheure.
La grande femme rousse qui tourna le coin de la rue Davaar pour poursuivre sa route dans la rue Bernard avait un mouvement des hanches plutôt suggestif. Placé en contre-jour, le soleil découpait délicieusement sa silhouette: la mi-trentaine, mince, aucune trace de grossesse nâalourdissait sa ligne. Renaud Daigle accéléra le pas jusquâà la rejoindre, murmura au moment où il arriva à sa hauteur:
â Madame, vous montrez certainement les plus jolis mollets du monde! Et ce que je vois de vos jambes à travers la robe, avec cette lumière complice, mâincite à croire quâelles sont comparables au reste.
La surprise fit un peu sursauter Virginie, toujours pensive après avoir quitté le cabinet du médecin. Un moment, elle donna lâimpression dâune gamine prise en flagrant délit dâécole buissonnière, puis se reprit pour dire en se retournant:
â Monsieur, le printemps a sur vous un effet dévastateur.
Tourné à demi, son visage offrait une multitude de taches de rousseur qui, sous le soleil, paraissaient des paillettes dorées. Si les lèvres se faisaient sévères, ses yeux verts indiquaient tout autre chose. Elle leva la main pour sâassurer que son chapeau de paille demeurait bien en place.
â Cela te dirait de prendre un verre à une terrasse? proposa-t-il après une seconde dâhésitation. Ou peut-être dois-tu accourir au cinéma?
Renaud Daigle, son époux, portait bien ses quarante-cinq ans. Grand, encore relativement mince, il paraissait bien dans son costume de lin gris, coiffé dâun panama. Au moment de quitter la maison ce matin, le soleil radieux lâavait convaincu de mettre ses lunettes teintées de vert, un peu pour forcer ce temps estival à sâinstaller définitivement.
â En vérité, confia-t-elle, je me disais quâil faisait trop beau pour retourner travailler tout de suite.
â Tu me déçois! Je croyais que tu étais lâemployée exemplaire, prête à peiner dix heures par jour alors que je te paie tout juste pour sept.
â Je dois me laisser influencer par ton exemple. Câest comme cela que tu fais le professeur? Ne devrais-tu pas crouler sous les corrections, dix bons jours après la date à laquelle tu devais remettre les résultats à lâuniversité? Des dizaines dâétudiants se languissent de savoir sâils connaissent suffisamment le droit constitutionnel pour poursuivre leurs études et toi, tu veux te prélasser au soleil.
â Je me sentais incapable de travailler dans la chaleur moite de mon petit bureau. Puis jâai encore à réviser des textes pour Ottawa.
Tous deux prirent place à la terrasse du Café Pierre , commandèrent chacun un verre de vin blanc tout frais. La rue Bernard demeurait animée, même si tout le monde aurait dû, en ce début dâaprès-midi, se trouver au travail ou vaquer à des tâches ménagères. Pendant un moment, ils eurent lâimpression de reculer de treize ans, alors quâils découvraient le plaisir de la vie commune. Des terrasses comme celles-là avaient abrité de longues conversations, peu après leur mariage. Un instant, la jeune femme lui caressa la cuisse sous la table, puis elle sâarrêta tout dâun coup:
â Tout de même, je vais mâarracher à ton charme puissant et retourner au travail. Tu as toujours lâintention de présenter ta princesse au roi?
â Cela se limitera à le voir de loin, si nous avons de la chance.
â Avertis Julietta, et donne-lui le reste de la journée. Je rentrerai un peu plus tard que dâhabitude.
â Jây cours de ce pas, avant quâelle ne se mette à ses fourneaux. Je cueillerai la seconde rouquine de ma vie à la sortie de lâécole. à cause de la visite royale, la classe sâachèvera dans quelques minutes.
Sur ces mots, la
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