L'Eté de 1939 avant l'orage
lui tendit les lettres ramenées du Parlement. Les plus menaçantes occupaient le dessus de la pile. Tessier commença à les parcourir.
Pendant ce temps, lâavocat regarda dâabord dans les deux classeurs rangés contre le mur. Quelques minutes suffirent pour constater quâils ne renfermaient que des dossiers médicaux. Ensuite, assis derrière le bureau, il ouvrit les tiroirs un à un. Dans le dernier, plusieurs chemises contenaient les missives reçues des électeurs: des suppliques dans toutes les langues. Dans une chemise rouge, marquée comme celle du bureau dâOttawa dâune croix gammée, se trouvait lâobjet de sa recherche. Les premiers plis reprenaient le contenu habituel: des fascistes ou des nazis invitaient le médecin à retourner dâoù il venait, certaines dans un langage blessant. Toutes paraissaient plus menaçantes que celles trouvées au Parlement, car elles portaient lâadresse personnelle du destinataire, là où habitaient une épouse et un enfant. Les dernières évoquaient des idées de meurtre dans les termes les plus clairs. Trois, envoyées en mai, contenaient des promesses de décapitation non seulement du député, mais «de ta truie et de ton mar-cassin».
â Voici les personnes que je crois responsables de lâassassinat, déclara Renaud en tendant les derniers feuillets de la pile au policier.
Celui-ci posa la liasse qui se trouvait dans ses mains sur le bureau et prit la nouvelle. Après quelques minutes, il murmura:
â Après avoir lu ceci, je dois convenir que votre théorie est plausible. Cependant, si on excepte quelques vitres cassées, jamais personne ne sâest attaqué aux Juifs à Montréal.
â Ce qui ne veut pas dire que cela ne peut survenir. Il y a toujours une première fois.
â Et pour inaugurer cette nouvelle mode, le meurtre dâune femme innocente?
â Le mari était visé. Un député qui défend ses coreligionnaires, essaie de leur permettre dâentrer au Canada. Vous savez que les fascistes souhaitent faire cesser toute immigration?
â Dans ce cas, pourquoi ne pas revenir un autre jour, quand le politicien se trouvait à la maison. Tenez, en prenant un rendez-vous pour un mauvais rhume. Câest très facile de rencontrer un médecin.
Là résidait toute la faiblesse de la théorie de Renaud.
â Bon, jâabats mon jeu. Davidowicz nâétait pas seul au moment du meurtre. Jâai parlé à la personne qui lâaccompagnait. Malheureusement, ni lâun ni lâautre ne veut rendre publique la vérité.
â Une histoire de femme? Alors quâils révèlent tout! Ce ne serait pas la première fois, même pour un député!
La voix du capitaine Tessier trahissait son impatience devant tant de sottise.
â Soyez certain que je vais lui dire cela, pas plus tard que dans une heure. Je vous laisse ces lettres.
Sur ces mots, Renaud quitta la pièce, passa la porte et pressa le pas jusquâà lâavenue de lâÃpée. Après un bref arrêt chez lui, il monta dans sa belle automobile Packard noire pour une promenade au nord de lâîle de Montréal.
7
La prison de Bordeaux se trouvait tout au nord de la ville, en face de la rivière des Prairies. Il sâagissait dâune grande bâtisse de briques, en forme dâétoile. Construite selon des principes «scientifiques» susceptibles de participer à la rénovation de lââme des prisonniers, lâarchitecture pénitentiaire sâimposait comme moyen thérapeutique!
Quand Renaud Daigle se présenta à la porte pour demander à rencontrer Arden Davidowicz, son client, cela provoqua une certaine commotion chez les gardiens. Après des conciliabules nombreux, le directeur du pénitencier vint lui serrer la main.
â Monsieur Davidowicz pourra vous voir dans un instant.
Quelquâun est allé le chercher pour le conduire dans la salle réservée aux rencontres avec les procureurs.
â Jâespère que son séjour ici ne lui a pas valu dâexpériences trop déplaisantes.
â Pas du tout. En fait, nous lâavons mis dans un cachot un peu à lâécart, sans lui permettre de se mêler à nos autres locataires. Député et Juif, cela constitue deux motifs pour recevoir des mauvais
Weitere Kostenlose Bücher