L'Eté de 1939 avant l'orage
faisaient état des lynchages de Noirs, parfois de Juifs, dans le sud du pays voisin, sans compter les assassinats commis par des illuminés.
â Ne me dis pas que nous en sommes à subir les inconvénients de la vie américaine sans profiter dâaucun de ses avantages? plaisanta Renaud.
â As-tu vu Le Devoir dâaujourdâhui?
Lâavocat lui jeta un regard curieux, intrigué de ce brusque changement de sujet.
â Non, juste La Presse .
â Attends, je vais te le chercher.
Dâun pas léger, la jeune femme descendit au rez-de-chaussée, remonta tout de suite avec le journal plié à la page trois, le lui tendit en déclarant:
â Je lâavais laissé dans ton bureau pour toi. Regarde cette annonce.
Dans le coin inférieur droit de la grande feuille, un encadré invitait tous les Canadiens français inquiets du sort de leur nationalité à se présenter à une soirée politique tenue au Monument national le 24 mai à vingt heures. Le thème en était «La menace que fait peser lâimmigration juive sur notre race».
â Demain soir, murmura Renaud. Jâirai. Lâassassin se trouvera peut-être là !
Même sâil avait adressé un clin dâÅil à sa femme, celle-ci répondit tout de suite, un peu soucieuse:
â Ne fais pas de blague de ce genre, je mâinquiéterai.
â Ne tâen fais pas. Ce sera un mélange de vieux messieurs avec des problèmes de prostate, dont de nombreux collègues à moi, et des jeunes étudiants très inquiets de ne pas se dénicher de travail au terme de leur séjour dans une institution de haut savoir. Sauf la fumée de cigarette qui va me faire tousser, je ne risque rien là -bas⦠Tu ne préférerais pas passer à un autre sujet que les vicissitudes de nos concitoyens?
Une lampe, sur la table de nuit, jetait une lumière tamisée dans la chambre. Sous une mince couverture, Renaud sentait la tiédeur dâune cuisse nue contre la sienne. En effet, il y avait mieux à faire que dâévoquer la femme assassinée à quelques rues. En caressant un ventre ferme, Renaud constata avec un malaise quâil ne connaissait pas son nom.
Le capitaine Tessier se tenait sur le perron de lâhôtel de ville, à lâattendre.
â Ma voiture se trouve juste derrière.
Ils prirent place dans une Ford noire portant le mot «Police» en lettres dorées sur les portières. Le Laboratoire provincial de recherches médico-légales se dressait dans la rue Saint-Vincent, à peu de distance du palais de justice de Montréal. Ayant été construit par les soins du gouvernement provincial, ses employés devaient venir en aide aux différents corps policiers, à leur demande.
Le capitaine connaissait les lieux, il se dirigea tout de suite à lâarrière de lâédifice, où se trouvait le bureau du pathologiste.
â Vous en avez terminé avec ma cliente? demanda-t-il dâentrée de jeu à un homme entre deux âges vêtu dâun grand sarrau blanc.
â Depuis peu.
â Vous pouvez montrer le corps à ce monsieur, tout en nous donnant vos conclusions?
Renaud devina que Tessier entendait le soumettre à un petit test, comme si la vue dâune morte allait le troubler. Une année à la guerre lui avait permis de voir plus de cadavres que lâensemble des policiers de lâîle de Montréal pendant toute leur vie. Le médecin les conduisit dans une salle attenante empestant le formol. Dans un mur se découpaient une douzaine de portes métalliques. Ouvrant lâune dâelles, le pathologiste tira ensuite une civière, qui dévoilait une dépouille recouverte dâun drap.
â Ruth Davidowicz, tuée dâune balle de calibre 22 dans la nuque.
Dâun geste brusque, lâhomme enleva la pièce de tissu, révélant le corps nu, livide. Quoiquâil fût difficile dâen juger dâaprès ce cadavre à lâhorizontale, Renaud se dit quâelle devait être de taille moyenne, le visage un peu quelconque, les cheveux noirs. Les paupières entrouvertes ne permettaient pas de connaître la couleur des yeux, devenus glauques. Après un rasage négligent des cheveux, la calotte de la boîte crânienne avait été sciée pour récupérer la balle, puis recousue
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