L'Eté de 1939 avant l'orage
autre ton: Le directeur vous traite bien?
â Aussi bien que possible. Il doit son poste au Parti libéral⦠Mais pouvez-vous me parler un peu de votre rencontre avec Lapointe, au sujet des réfugiés du Saint-Louis ?
Pendant plusieurs minutes, lâavocat rendit compte de sa petite mission auprès du ministre de la Justice. Puis il reprit le chemin dâOutremont après une dernière poignée de main.
La manifestation à Dollard
Des centaines de personnes se réunissent au pied du monument au parc Lafontaine â Déposition de fleurs et discours Â
Le Devoir , 25 mai 1939.
Au moment du petit-déjeuner, Renaud avait pu terminer la lecture du Devoir : la veille, il nâavait regardé que lâannonce relative à lâactivité patriotique prévue au Monument national.
Cela lui permit de constater que les nationalistes ne sâagitaient pas sur un seul front. En quelque sorte, un hors-dâÅuvre devait précéder le mets principal.
Aussi en fin dâaprès-midi, lâhomme se retrouva dans le cadre enchanteur du parc Lafontaine, un magnifique îlot de verdure au milieu de la ville, pour assister à une commémoration de lâextraordinaire sacrifice dâAdam Dollard des Ormeaux et de ses seize compagnons. Lâévénement se déroulait devant un monument érigé depuis plusieurs années déjà .
Le culte rendu à ce héros mort en 1660 avait pris naissance quand, au dix-neuvième siècle, deux historiens en soutane en avaient fait le sauveur de la Nouvelle-France.
Dans le contexte de la Première Guerre mondiale, des publicistes de langue anglaise avaient repris le mythe pour faire mousser la participation canadienne-française aux opérations militaires. Une magnifique affiche dans des tons saumon, plutôt bavarde, avait clamé: «Canadiens, suivez lâexemple de Dollard des Ormeaux. Nâattendez pas lâennemi au coin du feu, mais allez au-devant de lui. En avant Canadiens français.
Enrôlez-vous dans les régiments canadiens-français.» Sur lâimage au centre de lâaffiche, le héros faisait face, seul, une hache à la main, à des hordes de barbares emplumés.
Après la guerre, les élites de langue française prirent le relais et organisèrent une campagne de souscription pour financer lâérection dâun monument à Dollard au parc Lafontaine. Pourtant, en 1932 un historien de lâUniversité McGill, E. G. Adair, prononçait une conférence où il mettait en doute la grandeur du héros. Plutôt que de marcher à la mort pour sauver la Nouvelle-France, celui-ci se serait engagé dans la «petite guerre» pour sauver le commerce des fourrures! Bien plus, ajoutait lâiconoclaste, lâhomme avait voulu faire oublier avec cette entreprise une «indélicatesse» commise avant son arrivée dans la colonie.
Cette atteinte à lâintégrité du héros provoqua une levée de boucliers. Le chanoine Lionel Groulx battit la charge contre cet affront à la nation et à la foi des Canadiens français. Lâagression nâavait fait quâexacerber le culte de Dollard, qui resterait vivace encore pendant quelques décennies. Aussi en ce jeudi 24 mai 1939, ce fut au milieu de milliers de collégiens portant pantalon gris et veste marine que Renaud Daigle sâapprocha de lâestrade dressée près de la statue de bronze. Ces jeunes étaient des membres de lâAssociation catholique de la jeunesse canadienne.
Bien sûr, comme il convenait, un prêtre, lâaumônier de lâAssociation, commença de sa voix de prêcheur:
â Câest à lâécole de Dollard que se formeront les chefs aujourdâhui plus nécessaires que jamais.
Le révérend père Joseph Paré, jésuite, enchaîna sur tous les dangers accumulés au-dessus de la tête du petit peuple.
Celui-ci cherchait son guide, son chef, compléta mentalement Renaud, alors que le Portugal, lâEspagne et lâItalie avaient trouvé le leur.
â Il est possible dâaimer sa mère, sans, pour cela, détester celle des autres. De même, en nous tenant à lâécart de toutes les stériles haines de race, non seulement il nous est permis, mais câest pour nous une obligation, de nous développer dans le sens de notre
Weitere Kostenlose Bücher