L'Eté de 1939 avant l'orage
coups.
â Je vous en remercie en son nomâ¦
Un gardien se présenta à lâentrée du pénitencier, murmura un mot à lâoreille du directeur.
â Votre client est à votre disposition. Si vous voulez suivre cet hommeâ¦
Lâavocat emboîta le pas au cerbère, traversa un interminable corridor avec, des deux côtés, un alignement de portes métalliques. à cette heure, toutes sâouvraient sur des cellules étroites. Dans certaines, des prisonniers jetaient sur lui un regard parfois haineux, dâautres fois simplement curieux. Le seau hygiénique dans chacune de ces minuscules cages répandait une odeur tenace de merde et dâurine. Même à lâabri des mauvais traitements, un séjour dans un lieu pareil nâavait rien de réjouissant.
à la fin, le gardien ouvrit la porte dâune petite pièce où se trouvaient une table et deux chaises. Sur lâune dâelles, Davidowicz se tenait penché vers lâavant, les épaules voûtées.
â Je reste dehors, expliqua le guide. Je vous reconduirai quand vous aurez terminé.
Après une poignée de main, le visiteur sâassit en demandant:
â Maintenant, dites-moi exactement ce que vous avez fait samedi et dimanche dernier.
â ⦠Vendredi soir, je me suis rendu à la gare Windsor afin de cueillir Ãlise Trudel. Samedi, nous sommes allés à Sainte-Agathe. Le lendemain, nous sommes revenus juste à temps pour que je puisse vous rendre visite.
â Quand elle vient à Montréal, elle habite chez vous?
â Non, bien sûr que non. Ma femme se trouve à la maison. Nous logeons à lâhôtel. En fin de semaine dernière, câétait le Mount-Royal.
â Mais vous possédez un chalet dans les Laurentides.
Pourquoi ne pas vous y réfugier chaque fois?
Le médecin adressa un sourire dépité à son interlocuteur avant de répondre:
â Ãlise nâaime pas cette municipalité: trop de membres éminents du Parti libéral y ont une résidence secondaire, quelquâun pourrait la reconnaître à tout instant. Une indiscrétion, et elle perdrait son emploi⦠Dâun autre côté, lâhôtel coûte cher.
â Le drame de la petite communauté vertueuse et tricotée serrée.
â Câest la même chose chez les Juifs. Ils sont nombreux à Sainte-Agathe. Mes électeurs ne seraient pas heureux de me voir au bras dâune autre femme, chrétienne de surcroît.
Je perdrais leur appui. Alors, nous préférons aller dans un établissement anglais, je mets ma kippa dans ma poche et me confonds dans la ville anonyme.
Il parlait au présent, comme sâil ne comprenait pas tout à fait que ces précautions ne seraient plus nécessaires pour un veuf.
â à quelle heure êtes-vous arrivés à lâhôtel, dimanche?
â Entre trois et quatre heures.
â Vous nâavez pas quitté Ãlise avant le lendemain?
â Pas une minute avant de la conduire au train, un peu avant sept heures.
Cela lui donnait un alibi parfait. Depuis plus de vingt-quatre heures avant le meurtre, jusquâà plus de douze heures après, quelquâun pouvait témoigner de ses allées et venuesâ¦si cette personne consentait à le faire.
â Et votre conjointe acceptait de vous voir partir pour Sainte-Agathe, ou à lâhôtel, avec une autre femme, tout en restant sagement à la maison?
â Dâabord, elle ne savait pas que jâétais avec quelquâunâ¦
â Ne me dites pas que les épouses juives sont stupides à ce point!
Le médecin marqua une pause avant de se reprendre:
â Elle se doutait de quelque chose, mais ne savait pas. La nuance est importante.
â Et elle se satisfaisait de la situation?
â Non, cela la rendait très malheureuse. Câétait un mauvais mariage, concocté par nos familles respectives. Mais comme les catholiques, les juifs, enfin les juifs pratiquants, ne divorcent pas. Contrairement à ce que les chrétiens peuvent penser, nous ne pouvons pas répudier nos femmes si facilement. Comme vous, nous endurons les mésalliances.
â Pas dans une absolue sérénité, à en juger par votre incartade.
Renaud lui adressait un sourire amusé.
â Une sérénité plus grande que vous ne pouvez
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