L'Eté de 1939 avant l'orage
nationalité. Câest notre devoir impérieux de tenir à nos usages, à notre civilisation, de faire passer le culte de nos héros avant celui des populations étrangères, dâaimer notre coin de terre canadien-français par-dessus tous les autres pays.
Personne ne pouvait être contre la vertu et la maternité.
Au milieu de cette multitude dâadolescents boutonneux, Renaud admettait le principe de la charité nationale bien ordonnée. Après la péroraison du digne ecclésiastique, Paul Leblanc, président de lâAssociation, lui succéda sur lâestrade.
Ce fut ensuite au tour dâHector Dupuis, le représentant du conseil municipal. Vinrent à la fin Roger Berrichon, le supérieur de lâÃcole Saint-Stanislas, puis Joseph Dansereau, le président de la Société Saint-Jean-Baptiste.
Le lendemain, Renaud pourrait apprécier lâapplication du journaliste de La Patrie , dont le compte rendu de lâévénement serait fidèle. Dans les minutes suivant la fin du dernier discours, lâavocat regagna sa voiture stationnée non loin, dans la rue Sherbrooke, en se disant quâun peu plus tard dans la journée, les plus âgés des spectateurs de cet événement entendraient dâautres orateurs se faire un peu plus précis sur la façon dâobéir au devoir impérieux de favoriser en tout la «race» canadienne-française.
Le Monument national se trouvait rue Saint-Laurent, un peu au sud de la rue Sainte-Catherine. Lâédifice, construit entre 1891 et 1894 par la Société Saint-Jean-Baptiste, devait accueillir les bureaux de la société et servir de centre culturel aux Canadiens français. Très vite après son inauguration, les Montréalais purent découvrir des artistes de stature internationale, comme le pianiste polonais Ignace Paderewski ou la comédienne française Sarah Bernhardt. La grande artiste nâavait pas été la seule personne de religion juive à sâillustrer sur les planches de lâédifice: de nombreuses pièces de théâtre avaient été données en yiddish depuis le début du siècle, dâautres réunissaient des comédiens israélites et canadiens français dans les années 1920. Les relations entre les deux communautés étaient alors plus détendues quâelles ne le deviendraient dix ans plus tardâ¦
Renaud Daigle eut la chance de trouver à se garer tout près, de lâautre côté de la rue. La bâtisse en imposait, avec sa devanture largement fenêtrée revêtue dâun parement de pierres grises. Au rez-de-chaussée, de grandes vitrines laissaient voir du trottoir un hall spacieux, où les blancs et les ors conféraient une dignité un peu criarde à lâendroit. En passant la porte, lâavocat se fit la remarque quâau moment de la construction, lâéclairage au gaz devait accroître la magie du décor. Sous la crudité des lumières électriques, lâélégance devenait un peu kitch.
Notre homme put confirmer son hypothèse de la veille: la moitié de lâassistance qui se pressait pour entrer dans le théâtre de plus de mille six cents places appartenait à lâélite de la communauté francophone. Tout un monde de professionnels et de marchands se trouvait là , des lecteurs du Devoir , membres de la Société Saint-Jean-Baptiste, des Ligues du Sacré-CÅur et des Lacordaire, allant régulièrement à la messe, craignant Dieu et aimant la patrie. La plupart portaient veston, cravate et chapeau de feutre mou.
Au milieu dâeux, avec son panama, ses lunettes teintées de vert et son costume de lin pâle, Renaud semblait être un étranger, perdu dans la foule. Pourtant, certaines de ces personnes étaient ses collègues de lâUniversité de Montréal, comme Anatole Vanier qui, bien que licencié en droit, sévissait à la Faculté des sciences sociales, ou encore le docteur Ãtienne Pouliot, doyen de la Faculté de médecine. Dâautres enseignaient à Polytechnique, ou encore à lâÃcole des hautes études commerciales, une institution vouée à assurer une présence canadienne-française dans le monde des affaires.
Lâautre moitié de lâassistance se composait dâétudiants, ou de jeunes
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