L'Eté de 1939 avant l'orage
diplômés dâuniversité, dâécole technique, de collège classique ou dâacadémie qui voyaient le marché du travail leur demeurer hostile. Ceux-là portaient plus souvent la casquette et le coupe-vent, rarement la cravate. Ces affamés, plus que leurs aînés, représentaient des proies faciles pour tous les mouvements de droite, en particulier ceux qui savaient désigner les responsables de leurs malheurs et proposer une stratégie pour sâen débarrasser.
Un peu avant huit heures, Renaud Daigle montait le grand escalier pour aller occuper un fauteuil au balcon. à peine avait-il pris place quâune certaine commotion se faisait entendre au parterre. à lâavant de la salle, au premier rang, tout juste devant la fosse de lâorchestre, un cordon doré empêchait dâaccéder à toute une rangée de sièges. Ceux-ci devaient recevoir les invités dâhonneur. Lâavocat vit un petit homme en habit ecclésiastique, des lunettes à monture métallique sur le nez, descendre lâallée centrale: le chanoine Lionel Groulx, lâhistorien national des Canadiens français, faisait son entrée sous les applaudissements de la foule. Personne, parmi ses compatriotes, ne jouissait dâun ascendant comparable sur la communauté. Il prit place au centre de la rangée de sièges réservés aux invités dâhonneur. Après lui, venaient dâautres notables, dont le président de la Société Saint-Jean-Baptiste, Joseph Dansereau, Esdras Minville, à la tête de lâÃcole des hautes études commerciales et président de la Ligue dâAction nationale, et le recteur de lâUniversité de Montréal, M gr Olivier Maurault.
Une fois le brillant aréopage bien calé au fond des fauteuils, la grande réunion devant assurer le salut de la race canadienne-française put commencer. Un petit homme tout maigre, efflanqué même, noir de cheveux et de moustache et portant des lunettes, devait agir comme maître de cérémonie: André Laurendeau, directeur de la revue LâAction nationale , publiée par la société du même nom. En fait, le comité de rédaction de cette dernière avait organisé cette soirée, tous les orateurs en étaient des collaborateurs ou à tout le moins des abonnés.
Debout sur le devant de la scène, fébrile, moins parce que les mille cinq cents personnes devant lui lâintimidaient quâà cause dâun besoin irrépressible de nicotine, André Laurendeau commença:
â Vous avez sûrement lu les journaux. Encore une fois, les défenseurs de lâEmpire britannique qui siègent à Ottawa ont affiché leurs desseins: nous faire disparaître. Cette fois, ils ont essayé de nous fourguer un millier de Juifs⦠qui auraient été suivis de cent mille autres. Ce sont les réactions des milieux nationalistes qui ont ruiné leur projet, pas lâaction de nos députés au Parlement fédéral. Des gens comme Ernest Lapointe aiment trop leur portefeuille ministériel pour se souvenir encore de leurs devoirs envers leur nationalité.
Dans la salle, un murmure dâapprobation se fit entendre.
Ce jeune journaliste prêchait à des convertis.
â Vous savez comment procèdent nos ennemis à Ottawa.
Leur arme, dans le but de provoquer la disparition de notre communauté, demeure lâimmigration. Ils ont commencé au siècle dernier. Le Manitoba aurait pu rester français, mais ils ont transporté la lie dâEurope pour occuper ces terres. Un Ukrainien payait moins cher de transport pour aller sâétablir à Saint-Boniface que lâun de nos cultivateurs de la Beauce.
Pour être certains que nous ne nous rendrions pas dans cette région, ils ont privé les francophones dâune instruction dans leur langue et les catholiques, dâun enseignement confessionnel. Alors, tout lâOuest est devenu anglais, pendant que les nôtres ont dû travailler dans les usines de textile de la Nouvelle-Angleterre. Quinze ans plus tard, le grand Wilfrid Laurierâ¦
à lâironie qui teintait la voix de Laurendeau, lâassistance répondit par un rire. Ici, les icônes politiques perdaient leur caractère sacré.
â ⦠a permis que les mêmes droits scolaires soient brimés en Saskatchewan
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