L'Eté de 1939 avant l'orage
moment?
â Pourquoi pas.
â Nous possédons des bureaux ici, rien de bien luxueux, comme vous le constaterez.
Vanier le conduisit sur la gauche du grand escalier menant aux balcons. Sous celui-ci, une petite salle au plafond incliné avait été aménagée pour tenir des réunions. Une table de bois prenait presque tout lâespace, avec une dizaine de chaises un peu spartiates.
â Si vous voulez mâattendre, je vais chercher mes collègues.
Pendant de longues minutes, lâavocat attendit à la lumière crue dâune ampoule électrique pendue au plafond. Lâabsence totale de fenêtres le rendait un peu claustrophobe, et les pas des derniers spectateurs descendant le grand escalier provoquaient un bruit plutôt inquiétant, tout en faisait tomber un peu de poussière dans la pièce. Pour passer le temps, lâhomme regarda les ouvrages qui ornaient les tablettes posées le long du mur. Les plus anciens concernaient lâamélioration de la langue française. Tous les pamphlets de lâÃcole sociale populaire, une institution animée par le jésuite Joseph-Papin Archambault, se trouvaient là , de même que les publications dâune myriade de sociétés catholiques. Surtout, il aperçut La Réponse de la race , un livre quâil décida de parcourir pour tromper son impatience.
La Ligue dâAction nationale nâexistait sous ce nom que depuis 1933: en 1913, elle se faisait appeler la Ligue des droits du français. Très vite, lâassociation tint ses réunions sous le grand escalier du Monument national. En 1917-1918, elle se muait en une Ligue dâAction française, qui fut finalement incorporée en 1920. à compter de 1927, on avait plutôt parlé de la Ligue dâaction canadienne-française pour la distinguer dâune organisation française portant le même nom. à la fin des années 1920, les membres de la Ligue passèrent du souci dâaméliorer la place du français à lâexamen de tous les aspects de la «question sociale», un concept fourre-tout qui permettait dâinonder le Québec de textes de droite imbibés de bondieuseries.
â Monsieur Daigle, désolé de vous avoir fait attendre.
Anatole Vanier revenait avec André Laurendeau, le directeur de la revue LâAction nationale , publiée par la Ligue, et le docteur Ãtienne Pouliot, le doyen de la Faculté de médecine de lâUniversité de Montréal. Renaud se leva, serra les mains des deux nouveaux venus. Curieusement, au moment de se rasseoir, il se retrouva seul de son côté de la table, les autres en face de lui, comme pour un examen. Au fond, câen était un, ses interlocuteurs devaient juger de son nationalisme.
â Monsieur Daigle, je dois admettre que je suis un peu étonné de vous trouver devant moi, commença André Laurendeau. Dâailleurs, jâai croisé Esdras Minville dans le corridor en venant ici. Le président de la Ligue mâa confié vous considérer comme une recrue bien improbable.
â Ce qui explique quâil vous a laissé la responsabilité de me rencontrer. Je ne suis pas vraiment surpris. Nous nous sommes affrontés si souvent dans le cadre des travaux de la Commission royale dâenquête sur les relations entre le dominion et ses provinces⦠Je ne le savais pas si rancunier.
â Vous savez, il est plutôt contre les programmes comme lâassurance-chômage et lâassurance-maladie, fit remarquer Anatole Vanier.
â Je mâen suis rendu compte. Disons que prétendre quâil ne faut pas que lâÃtat se mêle dâaider les pauvres afin de permettre aux chrétiens de se sanctifier en faisant la charité aux miséreux me semble à la fois grotesque et inhumain.
â Alors, vous comprenez pourquoi il ne se trouve pas ici.Cette fois, Ãtienne Pouliot était intervenu dâune voix impatiente. Dans la cinquantaine, grand et gros, les cheveux gris coupés à moins dâun demi-pouce de son crâne, une petite moustache en forme de brosse à dents sous le nez, le médecin paraissait désireux de se précipiter ailleurs.
â Vous pensez pouvoir vous joindre à nous? Nos besoins vont croissants et peu de nos membres profitent de moyens assez conséquents pour nous venir en aide, dit Anatole Vanier.
Bien
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