L'Eté de 1939 avant l'orage
et en Alberta. Ensuite, lâOntario privait à son tour tous les Canadiens français de leurs écoles. Notre maître, le chanoine Groulx, a décrit la lutte héroïque de nos compatriotes pour se défendre de ces agressionsâ¦
Cette fois, des applaudissements interrompirent le conférencier.
â La stratégie qui a si bien fonctionné par le passé dans les provinces situées à lâouest de nos frontières, les impérialistes nâont aucune raison de lâabandonner au Québec. Si vous êtes venus à notre réunion en tramway, vous savez que la cité est infestée par des gens qui sentent lâail et ont le teint olivâtreâ¦
Bien sûr, le conférencier profitait de lâemplacement du Monument national: depuis le siècle précédent, les immigrants se fixaient dans la rue Saint-Laurent et ses voisines.
Quiconque avait pris le tramway numéro quarante-trois avait certainement voyagé avec des Italiens, des Portugais et des Juifs.
Pendant de longues minutes encore, André Laurendeau décrivit les hordes barbares originaires du sud, mais surtout de lâest de lâEurope, envahissant la ville. à lâentendre, personne nâaurait deviné que la minorité juive, le plus souvent établie au pays depuis des décennies, ne représentait pas plus de cinq pour cent de la population de Montréal.
Quelques minutes plus tard, André Laurendeau cédait la place à un jeune professeur de lâÃcole des hautes études commerciales, François-Albert Angers. à grand renfort de gestes saccadés, il vanta les vertus de lâ«Achat chez nous».
â Chaque fois quâun Canadien français entre dans un commerce appartenant à un étranger, il fait perdre de lâargent à lâun des nôtres. Nos marchands commencent par réduire leurs commis au chômage, parfois ils font faillite, simplement parce que nous ne faisons pas preuve de solidarité. Chaque fois que lâun de nous va consulter un professionnel étranger, il affame lâun des nôtresâ¦
Amorcé depuis une bonne quinzaine dâannées, le mouvement dâ«Achat chez nous» avait pris une grande ampleur dans le contexte de la crise. Le conférencier sâéloignait du sujet de la soirée, lâassistance reçut le reste de sa contribution dans une relative indifférence. Un autre professeur de lâÃcole des hautes études commerciales, Victor Barbeau, lui succéda sur la scène, afin dâexpliquer combien le secteur des affaires échappait totalement aux Canadiens français. En fait, selon lui, ceux-ci nâexcellaient que dans les domaines des produits agricoles, des produits du cuir et de la fabrication de beurre!
Tout le reste appartenait à des étrangers.
Dans la grande salle, des centaines de personnes fumaient la cigarette, un nuage bleuté montait jusquâaux balcons. Cette sale habitude, en plus dâoccasionner des brûlures aux fauteuils et aux tapis, augmentait les risques dâincendie. En plus, elle provoquait des quintes de toux chez Renaud. Un moment, il pensa quitter les lieux en douce, certain dâavoir compris le but de la soirée. Il sâagissait de convaincre les spectateurs que lâimmigration les conduirait dans un premier temps à perdre totalement le contrôle très marginal quâils avaient de lâéconomie et des institutions politiques, ensuite à les mettre en minorité sur le territoire quâils avaient amené à la civilisation dès le dix-septième siècle, pour enfin les faire disparaître.
Après avoir dilapidé au profit de lâennemi tout le continent de la mer du Nord jusquâau golfe du Mexique, excepté le Québec, ils se trouvaient maintenant menacés même dans ce petit coin de terre. Seule la mobilisation de toutes les énergies contre la venue des étrangers, en particulier des Juifs, leur permettrait dâéchapper à une totale assimilation.
Pourtant, lâavocat resta sur son siège assez longtemps pour voir arriver sur la scène un abbé de la région de Québec, bien bâti, la soutane tendue sur un ventre rebondi. Il commença de sa voix forte, entraînée par les sermons dominicaux:
â Quels sont les plus grands ennemis du Christ? Lucifer et les Juifs. Il faut les associer pour
Weitere Kostenlose Bücher