L'Eté de 1939 avant l'orage
curieux amalgame, très répandu pourtant. Ces crimes quâil venait dâévoquer, les journaux québécois en chargeaient les républicains espagnols, soupçonnés de communisme. Comme les Juifs se voyaient accusés dâavoir créé â Karl Marx venait dâune famille allemande de religion juive â et de répandre cette idéologie, finalement, tous les Israélites finissaient par en assumer les crimes.
Pendant dix minutes, Arcand ressassa les mêmes thèmes sur un ton monocorde, puis quitta les lieux après un salut: le petit homme dressé bien droit claqua des talons et tendit le bras droit devant lui, orienté vers le haut, la main ouverte. Tous, dans la taverne, se dressèrent comme un seul homme et lui rendirent son salut, Renaud avec eux, en criant « Pontifex ».
Dans les minutes suivantes, un peu partout dans la salle, de petits groupes entonnaient des chants patriotiques, repris aux autres tables. Les yeux pleins de larmes et la gorge irritée, lâavocat se tenait coi, buvait sa Labatt, profitait des silences pour échanger quelques mots avec ses voisins.
â Quel est le métier dâAdrien Arcand? demanda-t-il à la première pause.
â Journaliste. à la grosse Presse des Israélites jusquâen 1934.
Parce que La Presse avait eu un rédacteur de religion juive au tournant du siècle, diverses publications, dont Le Devoir , affirmaient quâelle demeurait inféodée aux Juifs encore en 1939.
En 1934 le Pontifex Maximus avait fondé le Parti national social-chrétien, auquel le Canadian Nationalist Party de lâOuest canadien sâétait rallié. Quatre ans plus tard, les fascistes du Québec et de lâOntario regroupaient leurs effectifs sous le nom du Parti de lâUnité nationale. Lâassociation affichait des prétentions pancanadiennes et sâinspirait du mouvement British Union of Fascists dirigé par Oswald Mosley au Royaume-Uni. Au fond, cet homme rêvait, ou feignait de rêver tellement cela semblait irréalisable, à un empire britannique où la race supérieure, à laquelle par un curieux amalgame appartenaient les Canadiens français, régnerait sans partage sur les nations inférieures.
Tout cela, Renaud le connaissait mieux que ses interlocuteurs. Il se lâentendit toutefois expliquer par des individus que la bière rendait vaseux. Vers vingt-deux heures, après des regards appuyés, Alfred Côté se décida enfin à partir. Après les poignées de main distribuées à la ronde, lâavocat inspirait à pleins poumons lâair de la rue. Dans la Ford, il descendit la glace et inclina la tête vers lâextérieur. Dire que son épouse et sa fille dormaient toutes les fenêtres ouvertes à cinquante pieds du lac des Sables.
â Les nazis, les voilà , déclara Alfred Côté après avoir démarré. Ce ne sont pas des tueurs de femmes.
â Combien sont-ils, au total?
â Moins de mille membres en règle.
â Les journaux ont parlé de quatre-vingt mille hommes armésâ¦
â ⦠une véritable cinquième colonne au service de Mussolini ou Hitler, capable de renverser le gouvernement canadien. Des conneries, oui.
Bien sûr, une fois faite la part du sensationnalisme de la presse, alimenté par la menace de guerre, les effectifs devaient être bien plus modestes.
â Parmi ce millier, personne qui aurait pu avoir envie de tuer un politicien juif? Un homme susceptible de se rabattre sur lâépouse parce que le premier ne se trouvait pas à la maison, ou simplement pour ne pas être reconnu.
Côté hésita un instant, songeur, avant de convenir:
â Cela, impossible de le savoir. Cependant, je ne crois pas que les dirigeants de lâassociation aient pu commander une action de ce genre.
â Vous ne croyez pas, ou vous êtes sûr que câest impossible?
â ⦠Comment pourrais-je être certain? Je suis lâun de ces dirigeants, à titre de commandant des légionnaires. Je nâai jamais rien entendu à ce sujet. Toutefois, je ne me trouve pas toujours dans les locaux du Parti, je ne suis pas témoin de toutes les conversations.
â Si le Parti de lâUnité nationale prenait cette direction, cela se passerait en secret, opposa Renaud.
â Mais pour avoir un impact, ce
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