L'Eté de 1939 avant l'orage
militant du Parti de lâUnité nationale nâa trempé dans cette entreprise?
â Bien sûr, câest ce quâil faut répondre. Personne nâa collaboré à ça. Seuls des traîtres à notre cause peuvent reprendre des histoires pareilles, pour nous nuire.
â Vous ne croyez pas possible quâun membre, ou un sympathisant, ait pu poser ce geste? Une initiative individuelle.
â Cela, comment pourrais-je le savoir? Des centaines de milliers de personnes partagent nos idées. Le Parti ne peut pas être tenu responsable de tous les dégénérés qui pensent quâexécuter une femme dans sa maison peut aider à régler le problème de la juiverie internationale.
En disant ces mots, Arcand fixait chacun de ses lieutenants dans les yeux, à tour de rôle. à tout le moins, chacun comprenait que tous devraient répéter cette explication. Pendant quelques jours encore, au risque de soulever les soupçons, lâinformateur poserait la question à tous les chefs de section.
à la fin il aurait la conviction quâaucune personne dotée dâune once dâautorité au sein du Parti de lâUnité nationale nâavait ordonné lâexécution de Ruth Davidowicz. Quâun dégénéré, pour reprendre les mots du Pontifex Maximus , se soit senti investi dâune mission de ce genre, impossible de le savoir.
La soirée passée dans une taverne au milieu de la fine fleur du nazisme montréalais avait laissé Renaud bien songeur. Le jeudi 15 juin, une fois sa femme et sa fille parties de la maison, il chercha au fond dâun placard sa chemise et sa veste de prolétaire pour les revêtir à nouveau. Lâhomme trouva ensuite une paire de lunettes vieille de quelques années et enroula un bout de ruban adhésif sur la pièce de la monture de corne qui reliait les deux lentilles. Chacun croirait quâelle était cassée et réparée de cette façon. Après avoir dépeigné soigneusement ses cheveux, lâavocat sâempressa de sortir devant une Julietta interdite. Si la domestique lâavait vu chercher les amoncellements de poussière tout le long du chemin vers la rue du Parc, afin de souiller ses chaussures, sans doute aurait-elle téléphoné à Virginie pour la prier de faire venir les infirmiers de lâasile dâaliénés Saint-Jean-de-Dieu.
Visiter les quartiers les plus défavorisés de la ville forçait Renaud à sâidentifier un peu mieux à la masse des laissés-pour-compte. Ceux-ci le regarderaient comme lâun des leurs, plutôt que comme un bourgeois curieux de leur misère.
Un tramway lui permit dâeffectuer tout le trajet jusquâà la rue Sainte-Catherine, un autre le conduisit à Verdun. Rue Wellington, lâavocat put constater que lâadresse sur sa carte de membre du Parti de lâUnité nationale correspondait à une très modeste maison de chambres. Pendant quelques minutes, il parcourut les rues Ethel, Gertrude, Evelyn, Verdun, Joseph et Claude, jusquâà sâimprégner de la morosité régnant dans ce quartier ouvrier. Les édifices de briques sombres, hauts de deux ou trois étages, ressemblaient le plus souvent à des boîtes dâallumettes. Les portes dâentrée donnaient directement sur le trottoir. Ici, les enfants pouvaient sans doute atteindre lââge de raison sans jamais avoir aperçu un brin dâherbe. Même un jour de classe, des garçons, rarement des fillettes, dépenaillés erraient dans les rues.
Crasseux, les membres et le visage souvent galeux, ces jeunes avaient un sourire qui affichait une abondance de caries et une infinie tristesse.
Dans cette partie de lâîle de Montréal, une proportion effarante des gamins devait mourir avant lââge dâun an. Les survivants ne pouvaient se considérer comme sortis dâaffaire ensuite. Toutes les maladies infectieuses, dont la plus terrible, la tuberculose, devaient accomplir encore dâhorribles ravages.
Résolu à poursuivre son exploration vers lâest, Renaud Daigle décida de suivre la rue Wellington jusquâà longer les ateliers du Canadien National de Pointe-Saint-Charles. Il parcourait là le plus vieux quartier industriel de Montréal, délimité au sud par les quais sur le fleuve Saint-Laurent, au
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