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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Côté enleva sa vareuse pour révéler à son compagnon sa chemise noire. Les pointes du col portaient de petites croix gammées argentées.
    Ã€ l’intérieur du commerce, la fumée de cigarette prit immédiatement Renaud à la gorge. Cette odeur se mêlait à celles de la bière et de la sueur de trois cents hommes. Les deux camarades se trouvèrent assis à une table accueillant déjà une demi-douzaine de convives. Les présentations faites, Renaud assuma sans trop de mal son rôle de vendeur renvoyé de chez Woodhouse. Les autres nazis autour de la table partagèrent volontiers leurs histoires de mauvais emplois entrecoupés de périodes plus ou moins longues de chômage.
    Plusieurs des hommes réunis dans la grande salle devaient avoir connu les secours directs, les camps de travail réservés aux chômeurs célibataires, le porte-à-porte pour offrir de couper du bois ou pelleter de la neige en échange d’une boîte de conserve, les nuits à la belle étoile l’été, dans des refuges à trois ou quatre dans le même lit l’hiver, les soupes populaires et, pire, la main tendue pour demander la charité aux passants.
    L’avocat n’apprenait rien là qu’il ne savait déjà. La crise touchait cruellement les Canadiens de toutes les origines, et les francophones avec une brutalité particulière. En cet été de 1939, un travailleur sur cinq demeurait encore privé de boulot au sein de cette communauté, alors que les journaux précisaient que la proportion était bien plus faible chez les anglophones, et microscopique chez les Juifs. Pourtant, jamais Renaud n’avait côtoyé d’aussi près les victimes des ratés du capitalisme. Sa compassion, réelle, se trouvait la plupart du temps totalement désincarnée, s’exprimant par des dons à des œuvres charitables. Alfred Côté arrivait à lui faire comprendre, sans prononcer un mot à ce sujet, que la plupart des membres du Parti de l’Unité nationale cherchaient une réponse à leur misère, un espoir en quelque sorte, que personne ne leur donnait ailleurs.
    Après une heure à tousser, étranglé par la fumée de cigarette, Renaud incarnait si bien son rôle de chômeur menacé par la tuberculose que ses voisins se prenaient à penser qu’il faisait plus pitié qu’eux. Puis, une certaine commotion se produisit du côté de l’entrée. De l’une à l’autre, les personnes présentes murmuraient «le Pontifex Maximus ». À son air intrigué, un homme à la carrure de forgeron vêtu d’un uniforme de légionnaire expliqua:
    â€” Le Pontifex Maximus , le chef suprême, si tu préfères.
    Le latin ne faisait pas défaut à Renaud, mais la surprise l’envahissait. Un instant plus tard, Adrien Arcand montait sur une table de l’autre côté de la salle. Il s’agissait d’un personnage brun de peau et de cheveux, les yeux noirs.
    Comment les défenseurs de la race aryenne pouvaient-ils si souvent marcher derrière des individus lui ressemblant si peu?
    â€” Camarades, camarades, cria le petit homme sanglé dans un uniforme noir décoré d’insignes argentés où dominaient les croix gammées et coiffé d’un béret noir incliné sur l’oreille droite, je suis heureux de venir vous saluer.
    Dans la salle, des «Salut» goguenards rappelèrent à Renaud que les Canadiens français n’affichaient pas la discipline germanique. Cela expliquait sans doute que le fascisme à l’italienne ou à l’espagnole remportait chez eux plus de succès que le nazisme.
    â€” Je vous invite à demeurer vigilants. Encore ces jours-ci, grâce à notre engagement, nous avons pu éviter que les Juifs nous volent un peu plus de nos emplois…
    Sur ces mots, les voisins de Renaud lui adressèrent un regard chargé de pitié. Bien sûr, même si les passagers du Saint-Louis avaient repris la route de l’Europe, des Canadiens français se voyaient encore jetés à la rue.
    â€” … corrompre nos femmes et nos enfants avec leur immoralité, répandre le communisme, violer les religieuses, égorger les prêtres et, finalement, faire disparaître le chris-tianisme de notre pays.
    L’orateur faisait ici un

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