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L'Eté de 1939 avant l'orage

L'Eté de 1939 avant l'orage

Titel: L'Eté de 1939 avant l'orage Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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l’heure dite, un grand sac de papier brun à la main. Après un bonjour, il expliqua en regardant son vis-à-vis des pieds à la tête:
    â€” Je pense avoir trouvé ce qu’il vous faut à l’Armée du Salut. Ne vous inquiétez pas, on m’a assuré que le tout a été soigneusement désinfecté.
    Ces mots eurent sur Renaud l’effet inverse. Pendant deux jours, il allait se gratter furieusement et demeurer persuadé de rester imprégné d’une odeur de crasse et de produits de nettoyage.
    â€” Vous pouvez garder votre pantalon, mais voici une chemise et une veste. Votre prononciation fait un peu trop précieuse, et vous ne pourrez pas la changer assez pour convaincre qui que ce soit. Alors ce soir vous devenez un vendeur renvoyé de chez Woodhouse, une victime de la juiverie internationale.
    Cette maison de commerce appartenait à des Juifs. Bien sûr, ses mains fines et sa façon de s’exprimer l’empêchaient de se fondre simplement parmi des travailleurs. S’identifier à un vendeur serait plus opportun. En mettant une chemise qui avait déjà été blanche, l’avocat remarqua:
    â€” Vous-même ne faites pas tellement prolétaire.
    â€” Je travaille depuis trois ans comme serveur dans une taverne. Moi aussi, il me faut une identité acceptable.
    Après la chemise, Renaud endossa une veste de laine où les mites avaient laissé quelques petits trous sur une épaule.
    L’informateur le regarda un moment avant de conclure:
    â€” Vous faites tout de même bien propre. Certains vont se demander si vous êtes à voile ou à vapeur. Remarquez, il paraît que ces mœurs sont populaires dans les Sections d’assaut d’Ernst Röhm. Vous ne déparerez pas l’ensemble.
    â€” J’essaierai de me tenir le dos au mur…
    L’autre ricana, insista pour se mettre tout de suite en route, en donnant une dernière directive:
    â€” Si on vous pose la question, vous vous appelez Joseph Drolet, vous habitez dans une maison de chambre à Verdun, rue Wellington. Avec un peu de chance, personne ne connaîtra trop bien ces parages. Et nous nous tutoyons.
    Quelque chose disait à Renaud qu’un Joseph Drolet, grand, maigre, chômeur, une petite moustache sous le nez, vivait réellement dans la rue Wellington.

    Alfred Côté avait laissé sa voiture, une vieille Ford crachotante, dans la rue Hutchison, pas trop loin de l’avenue de l’Épée. Le trajet jusqu’à la rue Marie-Anne, à proximité de l’intersection de la rue Papineau, ne prit que quelques minutes. Les deux hommes entrèrent bientôt dans un immeuble de briques brunâtres de deux étages. Au-dessus de la porte, un panneau apprit à Renaud qu’il s’agissait des locaux du journal Le Combat national et, à l’étage, ceux du Parti de l’Unité nationale.
    Ã€ un planton en uniforme noir qui se trouvait assis derrière une table près de l’entrée, Alfred Côté présenta Joseph Drolet, «un homme que les Youpins ont envoyé au chômage». Ce titre de gloire lui valut un «Bienvenu» distrait.
    Un moment plus tard, dans une petite salle servant à ranger de la documentation, l’avocat parcourait quelques brochures claironnant la nécessité de restaurer la grandeur de la race aryenne, menacée par les métèques de tous poils, principalement les Juifs. Ensuite, il put feuilleter les numéros des journaux Le Goglu , Le Fasciste canadien , et finalement Le Combat national . Les articles racistes affichaient une virulence inégalée dans ceux du Devoir ou de L’Action catholique . Les publicités surtout se distinguaient de celles des autres publications: la croix gammée figurait sur la plupart et des avocats, des dentistes et des propriétaires de commerce de diverses spécialités clamaient être de purs Aryens et n’accepter que des clients de la même race.
    Deux heures plus tard, après avoir serré les mains d’une quinzaine de militants dans les locaux du Parti de l’Unité nationale, Joseph Drolet quittait les lieux avec une carte de membre en poche. Au sud de la rue Papineau, la Ford obliqua vers l’est dans la rue De Montigny. Au coin de Dufresne, une grande taverne laissait entrer des dizaines de personnes.
    Descendu de voiture, Alfred

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