L'Etoffe du Juste
Sud, il fera le travail à leur place et ils n’auront qu’à se terrer quelque part pour attendre tranquillement que les nôtres trépassent. Ils auront conquis sans combattre. C’est vraiment ce que tu veux ?
La question était pertinente. Mes sympathies étaient définitivement du côté des hérétiques et ce que je savais maintenant des origines de l’Église chrétienne me la faisait haïr encore davantage, ainsi que ses soldats. Au-delà de cela, toutefois, je demeurais le seul responsable de la Vérité, désigné par Dieu lui-même, et le sort des terres du Sud et de leurs habitants ne devait pas interférer avec ma mission.
— Laissons mourir les villageois encore vivants et cela suffira bien à empêcher la contagion, dis-je pour tenter de la dissuader, tout en sachant que cela était voué à l’échec.
— Tu crois ? Et si quelqu’un se présentait, contractait le mal et repartait pour le répandre ? Nous sommes bien venus, nous. N’importe qui peut en faire autant.
Comment pouvais-je avouer à Pernelle, dont toute la vie était fondée sur le service aux autres, qui s’était elle-même sauvée en s’oubliant, que je ne devais pas me laisser ralentir par ce genre de considérations ? Que je le veuille ou non, les cathares pouvaient tous mourir et cela devait m’être égal. La mission dont j’étais investi transcendait tout cela. Mais j’étais incapable de m’en convaincre moi-même. Tous ces gens avaient fini par m’importer, n’en déplaise à Métatron. Ne m’avait-il pas prévenu que ma conscience serait désormais mon plus lourd fardeau ? L’archange devrait donc s’accommoder de sa présence.
— Nous devons nous assurer que la maladie reste circonscrite dans ce village, insista mon amie. Tu comprends ?
Je baissai la tête, m’avouant vaincu. Je n’avais pas souvenance d’avoir jamais remporté un raisonnement avec Pernelle et celui-ci avait subi le même sort. Même si la Vérité m’appelait à Gisors, elle avait raison : si cette maladie était vraiment aussi contagieuse et virulente qu’elle le disait, le Sud tout entier était menacé. Et s’il tombait aux mains des croisés plus rapidement qu’envisagé, la Vérité elle-même ne serait plus en sécurité. Et puis, dans le Sud, j’étais devenu quelque chose qui s’approchait enfin de l’humain. Je lui devais assistance.
— Que proposes-tu ? soupirai-je avec lassitude.
— Je dois m’assurer que les malades soient isolés des autres pour que le mal ne se répande pas. Ceux qui survivront après y avoir été exposés ne l’attraperont plus.
— Mais pour ça, il faudrait. entrer, dit Ugolin.
— Cela va de soi.
Elle revint vers sa monture et prit son coffre. Je la regardai, impressionné par le fait que ce petit bout de femme infirme entendait vraiment pénétrer dans ce qui ne pouvait être qu’un mouroir et lutter à mains nues contre la maladie. Avec détermination, elle claudiqua vers le village et s’adressa à nous sans se retourner.
— Restez à l’extérieur. Assurez-vous que personne n’entre ou ne sorte.
Ses paroles secouèrent mon apathie. Il était hors de question que je laisse ma pauvre Pernelle s’aventurer seule dans de telles conditions. Quoi qu’il advienne, elle ne souffrirait plus, fût-ce au prix de ma propre vie. D’autre part, depuis ma résurrection, j’avais amplement eu l’occasion de vérifier que, dans l’immédiat, Dieu avait d’autres plans pour moi que la mort. Après tout, j’avais été décapité, j’avais reçu un carreau d’arbalète en plein front, j’avais été blessé maintes fois, et j’étais toujours là pour en parler. Pour l’instant, je n’étais pas autorisé à mourir et, quelle que soit la menace à laquelle je m’exposerais, la vie s’imposerait à moi. Je pouvais souffrir, certes, et Dieu ne s’était pas privé de me le rappeler, mais j’avais la certitude que je resterais là tant que je n’aurais pas retrouvé l’entière Vérité - ou que j’aurais échoué.
Je descendis prestement de Sauvage et m’en fus la rejoindre.
— Je t’accompagne, décrétai-je en empoignant son coffre.
— Ne dis pas de bêtises et reste ici, rétorqua-t-elle en tirant dessus pour me le reprendre.
— J’ai vu cette maladie à Rossal après ton départ, mentis-je, et je ne l’ai pas attrapée. Tu viens de dire toi-même que ceux qui y survivent sont
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