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L'Étreinte de Némésis

L'Étreinte de Némésis

Titel: L'Étreinte de Némésis Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Saylor
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des morts sont si nombreux qu’ils deviennent aussi
palpables que des vivants… Le phénomène a été décrit de façon plus précise par
des personnes plus savantes que moi en la matière. Tout ce que je sais, c’est
que la mort hantait les chemins de Cumes cette nuit-là, et que ceux qu’elle
réclamait n’auraient pas loin à aller pour disparaître dans la gueule d’Hadès.
    Dans
un premier temps, nous n’eûmes aucune difficulté à trouver notre chemin. Après
avoir quitté la villa, nous rejoignîmes rapidement la route principale et les
yeux aiguisés d’Eco repérèrent la piste étroite qui partait vers l’ouest. Même
au crépuscule, le chemin me semblait familier. Nous traversâmes un boqueteau
pour atteindre la crête dénudée. Au nord, j’apercevais les feux de camp des
soldats de Crassus autour du lac Lucrin. Des chants montaient de la vallée. À
la lueur de la lune, je pouvais discerner l’énorme masse de l’arène. Son
enceinte de bois luisait faiblement, comme la carapace d’un dragon endormi ;
demain il se réveillerait et dévorerait sa proie.
    Une
fois entré dans les bois et les ténèbres, je commençai à ne plus être certain
de la route. Et sans la lumière du soleil, il n’y avait aucun moyen de se
repérer avec certitude. La lune, pleine, était encore basse dans le ciel. La
pâle lueur bleue qu’elle projetait à travers le feuillage créait un chaos d’ombres
et de lumières. Des écharpes de brouillard s’enroulaient autour de nous, sans
que l’on sache vraiment s’il s’agissait de brumes marines ou de vapeurs montant
de la terre humide. Après tout, il s’agissait peut-être d’âmes en peine.
    L’odeur
de soufre était de plus en plus forte. Au loin, un loup hurla, puis un second
et un troisième. Ils étaient si près que je sursautai. La nuit était encore
plus froide que je ne m’y attendais. Serrant mon manteau autour de mes épaules,
je songeai soudain à la cape que je tenais sous mon bras. Et si les loups
sentaient l’odeur du sang ? N’allaient-ils pas s’approcher ? Pendant
un bref instant, je crus entendre un bruit de chevaux derrière nous. Ce devait
être l’écho de nos propres montures.
    Enfin,
nous parvînmes à un endroit vaguement familier. Une trouée dans la cime des
arbres permettait de voir le ciel. Les sabots de nos chevaux claquaient sur la
pierre dure. Ma monture hésita, mais je la poussai. Elle hésita encore. Alors
Eco, qui se trouvait derrière moi, m’attrapa le bras et avala bruyamment sa
salive. J’eus soudain le souffle coupé.
    Nous
nous tenions au bord du précipice surplombant le lac Aveme. Une vague d’air
chaud sentant le soufre me balaya le visage, comme l’haleine fétide de Pluton.
Dans le silence j’entendis les sifflements et les gargouillements des
fumerolles qui émanaient des profondeurs. J’imaginai les morts infortunés
luttant comme des hommes qui se noient pour échapper à la vase en ébullition,
tout au fond du lac. La lune passait au-dessus des arbres et répandait sa
triste lumière bleu pâle sur cette désolation. Dans cette lueur trompeuse, j’aperçus
le visage couvert de cicatrices et de pustules d’un monstre. De l’autre côté du
lac apparaissaient les silhouettes déchiquetées des arbres. Des aboiements se
firent entendre soudain, les aboiements de trois chiens !
    — Cerbère
est lâché, cette nuit, murmurai-je. Tout peut arriver.
    Eco
fit un bruit sourd. Je me mordis la langue, me maudissant de l’avoir effrayé. J’inspirai
profondément et me tournai vers lui.
    A
cet instant, je reçus un coup par-derrière et tombai de mon cheval, la tête la
première.
    Le
bruit sourd d’Eco avait tenté de m’avertir. J’avais été frappé entre les
omoplates. En tombant, je me demandai pourquoi l’agresseur avait choisi de me
frapper au lieu de me poignarder.
    Les
paumes de mes mains s’étaient écorchées sur la roche dure. Je rampai jusqu’au
bord du précipice.
    Je
reçus un nouveau coup dans les côtes et me retrouvai en équilibre sur le rebord
de la saillie rocheuse. Alors je compris pourquoi je n’avais pas été poignardé,
alors qu’il aurait été si facile de le faire en m’attaquant ainsi à l’improviste :
pourquoi laisser des traces de meurtre, lorsqu’il est si simple de précipiter quelqu’un
du haut d’une falaise ? Et peut-être que la façon de me tuer importait
peu, s’ils se débarrassaient de moi en me jetant dans le lac en ébullition,
Pluton

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