Lettres - Tome I
aménagé pour l’hiver, dont la minutieuse et pittoresque description nous fait voir ce qu’était l’existence luxueuse des riches Romains au bord de la mer ; c’étaient, près des Apennins, les Tusci qu’il préférait pour l’été, et d’autres encore ; il en avait enfin à Côme plusieurs, dont deux le charmaient particulièrement par les souvenirs du pays natal et par le site enchanteur encore aujourd’hui, l’une et l’autre ayant vue sur le lac Larius, la première, haut perchée comme la Tragédie sur ses cothurnes, la seconde près des flots, plus bas, comme la Comédie sur ses brodequins plats (telle est l’image dont il se sert, tels sont les noms qu’il leur donne, pour les distinguer). Comment Pline trouvait-il le temps d’aller y goûter les agréments d’une villégiature studieuse, loin du tumulte de la ville, et des grossiers spectacles à l’usage du peuple ? Car de multiples occupations devaient le retenir à la ville, où son esprit curieux trouvait mille raisons de se plaire ; événements à observer, démarches à faire, et précisément le soin de cette correspondance régulière, qui constitue pour nous un journal si précieux de sa vie et de celle de ses contemporains.
Pline en effet cultivait les plus solides et les plus honorables amitiés. C’est trop peu dire encore : il professait pour l’amitié un véritable culte : « À supposer, écrit-il quelque part, que mes amis ne soient pas tels que je le proclame, je suis heureux de les voir ainsi. » Il entretint donc un commerce épistolaire avec les personnages les plus distingués de son temps, les Junius Mauricus, les Licinius Sura, Municius Fundanus, Caius Septicius, Pompeius Falco, Titius Aristo, et tant d’autres, avec des jeunes gens comme Fuscus Salinator, avec le poète Martial et l’historien Suétone, avec Tacite enfin, dont le nom est resté inséparable du sien, et avec l’empereur Trajan, qui lui accorda la plus entière confiance. En parcourant cette volumineuse correspondance nous voyons se dérouler le tableau de la société romaine à l’époque où vivaient ces hommes, et nous connaissons intimement l’aimable caractère de Pline le Jeune.
Ce sont des souvenirs sur la génération précédente qui avait eu tant à souffrir de la tyrannie, et dont il avait connu les principaux représentants, un Frontin un Corellius Rufus, un Musonius, un Hérennius Sénécion, et cette héroïque famille des Thrasœa Paetus, des Helvidius, des Arria et des Fannia, sur le rôle exécrable des délateurs, les Régulus, les Publius Certus ; ce sont des documents transmis aux historiens futurs sur un Verginius Rufus, sur les ouvrages, la vie et la mort tragique de Pline l’ancien ; sur beaucoup de ses contemporains, dont, sans lui, nous ignorerions le rôle important ; ce sont mille traits de mœurs, que sa curiosité naturelle observe, décrit ou commente pour ses lecteurs, et dont certains, comme l’engouement pour les courses dans le grand Cirque, par exemple, n’ont pas cessé d’être d’actualité. Ce sont parfois même de simples faits divers : le drame qui se déroule chez l’ancien préteur Largius Macedo, victime d’un attentat criminel de la part de ses propres esclaves, l’affaire tragique de la grande vestale Cornelia, ou le suicide de deux époux dans le lac Larius ; c’est la vie des grands et des humbles, des lettrés surtout comme lui, à Rome, au tribunal, aux séances académiques, à la campagne, à table, voire à la chasse et au cirque. C’est la Petite Histoire, à défaut de considérations sur les affaires de l’État, « matière dont l’occasion se présente bien moins souvent qu’aux temps anciens », qui nous manqueront toujours pour écrire l’histoire du premier grand Prince de la famille des Antonius. Ce sera enfin, pour terminer, la vie d’une province sous la conduite d’un administrateur zélé et qu’aucun détail ne rebute.
Mais ce sont aussi les mille traits qui nous font pénétrer intimement dans l’âme de Pline. Nous connaissons l’obligeance avec laquelle il met en toute occasion son expérience et son influence au service de ceux qui en ont besoin, recommandant à des gens capables de les pousser des jeunes gens à qui il reconnaît lui-même des mérites, ou trouvant à la fille du plus digne de ses amis, le mari qui lui convient. C’est aussi le généreux emploi qu’il fait de sa fortune ; ici, pour compléter le cens équestre à
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