Lettres - Tome I
je prévois que vous tarderez à revenir, je vous adresse l’ouvrage que je vous avais promis dans mes lettres précédentes. Je vous prie de le lire et de le corriger selon votre habitude, et cette fois d’autant plus librement que je crois n’avoir jamais écrit avec une telle émulation. J’ai en effet tenté d’imiter Démosthène, votre auteur de prédilection, et Calvus {2} , devenu depuis peu le mien ; mon imitation se borne d’ailleurs au style ; car, pour atteindre à la puissance de si grands écrivains, « rares sont les favoris des dieux {3} … » qui le peuvent. Mon sujet lui-même, soit dit sans prétention, ne répugnait pas à cette rivalité ; il exigeait une véhémence oratoire presque continuelle, qui m’a réveillé de la longue paresse, où je m’endormais, si tant est que je puisse être réveillé. Je n’ai pas cependant dédaigné tout à fait les fleurs {4} de notre Cicéron, toutes les fois que j’étais invité à m’écarter légèrement de mon chemin pour en cueillir quelqu’une qui se présentait à propos. Je cherchais la force, non l’ennui. N’allez pas supposer surtout que j’use de cette exception {5} pour obtenir votre indulgence. Car, afin de mieux aiguiser votre critique, je vous avouerai que mes amis et moi nous ne sommes pas hostiles à l’idée de la publication, si du moins vous voulez bien apporter votre caillou blanc à notre hésitation. Il faut bien que je publie quelque chose, et fasse le ciel que ce soit de préférence ce qui est prêt ! (Voilà le vœu de ma paresse !) Quant aux motifs de cette publication, j’en ai plusieurs, dont le principal est que mes premiers écrits donnés au public, sont encore dans toutes les mains, quoiqu’ils aient perdu le charme de la nouveauté, si cependant les libraires ne flattent pas mes oreilles. Mais qu’ils me flattent tant qu’ils voudront, si leurs mensonges me rendent mes études plus chères. Adieu.
III. – PLINE SALUE SON CHER CANINIUS RUFUS…
La campagne et l’étude.
Que devient Côme {6} , vos délices et les miennes ? Que devient cette charmante villa de la banlieue {7} ? Et ce portique où règne un éternel printemps ? Et cet épais ombrage de platanes ? Et ce canal dont les eaux vertes ont la limpidité des pierreries ? Et ce bassin en contre-bas qui en recueille les eaux ? Et cette allée pour la promenade en litière {8} , au sol à la fois souple et ferme ? Et cette piscine inondée de soleil à l’intérieur et à l’extérieur ? Et ces salles à manger, l’une pour les réceptions nombreuses, l’autre pour l’intimité ? Et ces chambres pour la sieste ou pour le sommeil ? ces lieux ont-ils le bonheur de vous retenir et de vous posséder tour à tour ? Ou bien, selon votre habitude, l’obligation de visiter vos domaines vous contraint-elle à les quitter par de fréquents voyages ? S’ils vous retiennent, vous êtes le plus heureux des mortels. Sinon, un homme comme il y en a tant. Que ne confiez-vous à d’autres, il en est temps enfin, ces soucis bas et mesquins, pour vous adonner aux lettres dans cette retraite paisible et profonde ? Quels que soient vos affaires, vos loisirs, votre labeur, vos délassements, consacrez-leur vos veilles, votre sommeil même. Ciselez, polissez une œuvre qui vous appartienne pour toujours. Tous vos autres biens, après vous, changeront mille fois de maîtres, mais la gloire littéraire, du jour où vous l’aurez acquise, ne cessera jamais d’être à vous. Je sais à quelle âme, à quelle intelligence je m’adresse. Tâchez seulement d’avoir pour vous l’estime que vous témoignera le public, si vous l’accordez à vous-même. Adieu.
IV. – C. PLINE SALUE SA BELLE-MÈRE POMPEIA CÉLÈRINA.
Invitation.
Que de délices dans vos villas d’Ocriculum, de Narni, de Carsules, de Pérouse ! Mais à Narni, j’ai trouvé même un bain ! Une seule lettre de moi (car il n’est plus besoin des vôtres), et encore courte et ancienne me procure toutes ces attentions. Vraiment, mon bien est moins à moi que le vôtre ; il y a pourtant cette différence que vos serviteurs m’accueillent avec plus de prévenances et d’empressement que les miens. Peut-être serez-vous traitée ainsi vous-même, si un jour vous usez de mon hospitalité. Ce que je souhaite de tout cœur, d’abord pour que vous jouissiez de mes biens comme moi des vôtres, ensuite pour que mes gens se secouent enfin, car ils s’habituent à
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