L'Evangile selon Pilate
Lors du dernier repas qu’il partage avec ses proches, Jésus livre son raisonnement. S’il veut éviter que toute la troupe de disciples soit condamnée et crucifiée, s’il veut éviter un châtiment collectif, il doit se faire désigner comme unique responsable. « Quelqu’un doit me dénoncer. » Implicitement, il demande à Judas, le seul assez proche et subtil pour le comprendre, d’accomplir cette besogne.
Par amour, par conviction, par dévotion, Judas accepte.
Confiant dans la messianité de Jésus, il jouera, aux yeux de tous, le mauvais rôle. Blessé, bouleversé et en même temps confiant, il emporte son secret dans la tombe.
Ainsi le christianisme est-il fondé sur un double sacrifice, le sacrifice de Judas et le sacrifice de Jésus.
Pourquoi Yéchoua plutôt que Jésus ? Yohanân le Plongeur plutôt que Jean-Baptiste ? Pourquoi revenir aux noms araméens plutôt qu’à ce qu’ils sont devenus en français à travers le grec et le latin ? Pas seulement par souci d’authenticité. Plutôt pour éviter les clichés, les images toutes faites, les idéologies implicites. Et surtout pour rendre possible le travail romanesque. Si j’écris « Marie », vingt siècles de prêt-à-penser s’interposent immédiatement entre mon texte et moi ; en revanche, si j’écris « Myriam », je peux rester dans le roman et maîtriser la présentation de mes personnages.
Plus subtilement, lorsque je parle de Yehoûdâh comme du disciple préféré, les lecteurs cultivés vont spontanément croire qu’il s’agit de Jean avant de découvrir, avec surprise je pense, qu’il s’agit de Judas…
J’ai achevé aujourd’hui la première partie du livre, choqué que cela finisse si brièvement, surtout si brutalement.
Alors que je voulais brosser un grand tableau tourmenté de ces derniers instants qui précèdent l’arrestation et préfigurent la croix, je me suis surpris à resserrer le trait, à ne garder que l’essentiel, à saisir sous la flèche d’une phrase ce qui pouvait se développer en plusieurs paragraphes.
Bref. Trop bref. Comme la vie du Christ…
Pourquoi la justesse, chez moi, revient-elle toujours à la concision ? Est-ce une qualité ou la marque d’une impuissance ?
Une phrase me fait davantage trembler qu’un paragraphe. L’esquisse d’une image me trouble plus qu’une description achevée.
Relisant aujourd’hui cette première partie que j’aimerais appeler « L’Évangile des Oliviers », je me dis que j’aimerais entendre ce récit sur scène, avec de la chair, de la présence, du silence, de l’ombre et du sang. Tout y est oralité. Les phrases n’ont pas été écrites mais entendues, elles sont destinées à être prononcées plutôt que lues.
Avant de quitter cette première partie, je me rends compte qu’elle contient plus d’originalité que je ne le pensais au départ. La conscience profondément libre de ce Jésus humain a modifié scènes et perspectives.
Depuis deux mille ans on hésite entre deux théories : Jésus se sachant le Messie ou Jésus se découvrant le Messie ; j’en propose une troisième : Jésus fait le pari qu’il est le Messie.
« Si je perds, je ne perds rien. Si je gagne, je gagne tout. Et je nous fais tous gagner. » Émotion d’écrire cela, de sentir l’auteur le plus important pour ma construction intellectuelle, mon précieux Pascal, me tenir la main et m’aider à accomplir, à ma modeste mesure, mon chemin de croyance.
Jusqu’au bout mon Jésus demeure un esprit qui doute, un esprit fini qui se sent appelé par l’infini mais qui n’est sûr de rien, une lumière naturelle qui se nourrit de la lumière révélée mais qui garde un discours humain.
« Mon Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Lumière de Dieu qui nous éblouit tant que, parfois, nous demeurons aveuglés…
Aujourd’hui, première journée en compagnie de Pilate. Quel choc ! Passer de la douceur de Jésus à la rudesse de Pilate, de l’interrogation continue aux affirmations péremptoires ! Ce fut une rupture brutale que de quitter la lumière, fut-elle douloureuse, du Christ pour cette langue de soudard ! Si cet abandon ne me coûte pas, il provoque des regrets.
Cependant j’ai éprouvé un grand plaisir à décrire Jérusalem vue par Pilate. Dans la première partie, je l’ai décrite avec les yeux de Jésus. Dans les deux cas, la ville est fascinante et détestée. J’adore ressusciter ces
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