L'Evangile selon Pilate
qui croient sont des imbéciles. Et lui qui ne croit en rien vit dans la vérité. Il ne lui est pas venu à l’idée qu’il se contente d’opposer une croyance à une autre croyance, une foi à une autre foi.
La seule attitude intellectuelle honnête concernant l’existence de Dieu ou du Christ consiste à dire : « Je ne sais pas. » L’agnosticisme doit demeurer notre base, à tous.
Lorsque l’on dit « Je crois », on ne dit pas « Je sais ». Ce que je crois n’est pas ce que je sais.
Lorsque l’on dit « Je ne crois pas », on ne dit pas non plus « Je sais que ça n’est pas ». Dans l’ordre de la vérité, ne pas croire à quelque chose ne donne aucun mérite supplémentaire.
Restons humbles et mesurés. Une croyance athée ou une croyance chrétienne demeurent des croyances. Jamais une science. Et chacune mérite le respect qu’on doit adresser à toute conviction.
Mon interlocuteur au visage écarlate de colère répond donc fièrement à des questions qu’il ne se pose même pas.
Qu’il se les pose d’abord.
Ensuite, peu importe la réponse. Ce qui compte, c’est la question.
Nous sommes tous réunis sous la question, divisés par nos réponses.
L’humanisme doit être interrogatif, sous peine de ne jamais exister.
Depuis l’adolescence, je suis régulièrement visité par une image : je me vois, vêtu d’une longue robe noire, dans la blancheur éblouissante d’une cellule à l’intérieur d’un couvent, regardant la pure lumière du jour qui m’inonde de bonheur. Toujours ce rêve monacal… Il était déposé en moi avant même que j’aie reçu la foi.
Est-ce un fantasme ou une prémonition ? Suis-je sous la pression d’un vague désir ou entrevois-je mon destin ? Seule la vie me l’apprendra. Et encore, si je réalise ce rêve, sera-ce un effet de ma liberté ou un effet de mon destin ?
Parfois je suspecte cette image de n’exprimer qu’une fatigue de vivre et de lutter. À d’autres moments, je la soupçonne d’être la clé de ma vie, le bonheur qui m’attend…
Contrairement à ce que je disais il y quelques semaines, plus j’avance, moins je me sens singulier. Les réactions au livre me réconfortent. Je m’apparais comme le maillon d’une grande chaîne, celle composée par tous ces artistes qui, depuis des siècles, ont représenté la Passion. Comme un peintre, un sculpteur ou un compositeur, quelque part entre le gribouilleur d’église et Rembrandt, entre le tailleur anonyme et Michel-Ange, entre l’organiste dominical et Mozart, je travaille le motif à ma façon.
Le roman me semble avoir une place justifiée dans cette histoire. Protégé par ce genre, protégé par l’aveu de la fiction, je n’assomme pas le lecteur en lui disant « C’est vrai », seulement « C’est vraisemblable ». Je ne crie pas « Voici LA vérité », juste « Voici mes hypothèses ». Mes pensées se présentent sous la forme de mensonges : une fiction. La fiction a peut-être seule le pouvoir de dire, ici, ce qui doit être dit.
Certes, « roman » signifie subjectif, imaginaire, mais ne signifie pas irréel ni dépourvu de sens. Il est des réalités qui ne peuvent se transcrire dans aucun autre langage. Je me demande si certaines vérités ne sont pas inexprimables autrement que sous la forme d’histoires, de romans, de contes…
Un cinquième évangile ?
Oui, j’ai écrit mon évangile, un double évangile, celui de Yéchoua et celui de Pilate. Mais n’avons-nous pas tous fait, même sans prendre la plume, un travail identique ? Forcément, accablés d’informations, de récits, d’images, nous nous sommes re-raconté l’histoire, faisant saillir tel trait, privilégiant telle scène, gommant telle anecdote. Tous, avec des musiques, des tableaux, des récits, des films, nous nous sommes construit un cinquième évangile.
Je me rappelle la nuit dont est issu ce livre. Il ne s’agit pas tant de ma nuit au désert que d’une autre, quelques années plus tard.
Ce soir-là, pour la première fois de ma vie, j’ai lu les Évangiles. Les quatre. À la suite. Sans décrocher. Dans l’ordre où ils sont édités.
Nuit de glace et de feu. Sentiments contradictoires. Je découvrais le Christ, la violence de l’amour, la trajectoire folle, insensée, généreuse qui a été la sienne, depuis une enfance obscure jusqu’à l’agonie publique. Dans la même nuit, je me suis mis à croire au Christ et à ne pas
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