L'Evangile selon Pilate
autant que les réflexions théologiques, je me suis approprié le travail des chercheurs du réel. Car le Jésus historique me paraît aussi nécessaire au christianisme que le Jésus fils de Dieu. Si on oppose l’homme et le Dieu, le christianisme s’effondre, car cela revient à nier soit l’humanité soit la divinité du Christ.
Ainsi Renan a-t-il constitué, pour moi, une lecture aussi essentielle que Pascal…
Écrire « Moi, Yéchoua de Nazareth »…
Chaque jour, la prise de plume exige une préparation étrange, entre la méditation et la prière, les mains à plat sur la table, la nuque cassée sous le poids de la tête, les yeux fermés pour mieux entendre, comme si j’allais m’enrouler, descendre au fond de moi pour y trouver le meilleur. Dans le silence et les effluves d’une bougie à la lavande, je m’éloigne du monde, de ses pollutions, tente de me transformer en grande oreille.
Parfois, cette sérénité reste inaccessible. J’insiste avec douceur. Peu importe de perdre une heure ou deux, la douceur demeure la voie d’accès…
Au fond de moi il y a autre chose que moi. M’y attendent des sentiments, des pensées, des états qui n’appartiennent pas à l’ordinaire de ma personnalité. D’où naît cette surprise qu’on appelle l’inspiration ? Des expériences accumulées, d’un cœur plus large que l’esprit, d’un inconscient plus riche que la conscience ? Des autres, vivants ou morts, qui s’emparent de mon imagination pour s’exprimer ? Est-ce une mémoire génétique, celle de l’humanité, devenue enfin accessible ? Est-ce l’entrée dans un état de résonance avec le monde, une sorte de sixième sens que la science ignore encore ? Est-ce saisir un murmure divin ? Je crois toutes ces hypothèses probables…
Lorsque j’écris, je fais l’expérience d’une altérité. Je suis autant scribe qui écoute qu’écrivain qui crée.
J’aborde un infini, un univers sans bornes… Seules les limites m’appartiennent en propre.
Afin de faire parler Jésus « juste », d’une voix qui ne tremble pas mais qui connaît le doute, enrobée d’une expression ferme, précise mais qui ne soit ni philosophique ni intellectuelle, je tente de m’absenter du monde, et surtout de moi-même. J’essaie de descendre au fond de moi pour trouver le meilleur de moi, ce meilleur qui n’est plus moi et qui n’est pas à moi…
Pas tous les jours disponible, le meilleur de moi, pas vraiment tous les jours…
Quelques lignes aujourd’hui, guère davantage…
Comme la simplicité exige, non pas du travail, mais de la patience…
Les voyages d’un écrivain proche de saint Augustin…
Descendre au fond de moi pour trouver autre chose que moi... Parfois je le trouve et j’y demeure l’après-midi à méditer. Telle fut ma journée d’aujourd’hui.
Ce soir, je suis heureux.
Je m’en veux cependant : mon roman n’a pas avancé.
Quoique…
Il est évident que, pour décrire le séjour de Jésus au désert, je me sers de ma propre nuit au désert lorsque, au mois de février 1989, je suis entré athée dans le Sahara et ressorti croyant.
En fait, je n’utilise pas tant que cela mon expérience singulière. Je n’écris que ce qui est nécessaire à mon livre. Je continue à garder pour moi cette nuit sous les étoiles qui a changé ma vie.
Les miracles, j’en sais l’importance pour certains. Pascal y voyait une preuve de la vérité du christianisme.
Or je tiens à présenter un Jésus aussi distant par rapport à ses miracles qu’un philosophe sceptique, un Jésus qui aurait lu Renan ! Car Jésus n’est pas le seul thaumaturge de son époque, les guérisseurs pullulaient en ces temps d’indistinction scientifique où la frontière entre le normal et le surnaturel manquait pour le moins de précision. De plus, je crois que ce thème du miracle ne doit pas polluer la foi moderne ; en dehors de la Résurrection, aucun miracle ne m’intéresse. Enfin Jésus lui-même, comme le disent maintes fois les Évangiles, semblait très agacé par ses miracles, au point de ne plus souffrir qu’on lui en demandât. Plusieurs fois, on comprend qu’il y voit une dérive dangereuse et il précise que la foi doit précéder le miracle, non lui succéder.
Correction par rapport à hier : les seuls miracles qui m’intéressent sont ceux qui troublent Jésus. Ainsi la résurrection de l’enfant de Nahim et celle de l’ami Lazare. Il y voit la
Weitere Kostenlose Bücher