L'Evangile selon Pilate
dédicace : beaucoup trop pudique pour cela.
Ma mère m’avoue cependant qu’il passe ses journées à lire et relire les pages éparpillées sur son lit.
J’ai réalisé ce matin que je m’appelais « Emmanuel », ce qui signifie « Dieu avec nous » en hébreu. Matthieu ne dit-il pas que l’enfant de Marie devra s’appeler Emmanuel ? (Matthieu, 1 : 23) Étrange quand on écrit deux nouveaux évangiles, non ?
Plus étranges encore, les circonstances dans lesquelles ce nom me fut donné. Tant que je demeurai dans le ventre de ma mère, mes parents avaient prévu de m’appeler Éric. Lorsque j’apparus, il leur sembla sur-le-champ qu’Éric n’était pas suffisant, qu’Éric Schmitt ne sonnait pas juste, manquait de douceur, renvoyait à un autre physique que le mien et, là, sur la table, au milieu des sages-femmes, tandis que j’ouvrais pour la première fois les yeux sur le monde, ils créèrent ce prénom inouï que je n’ai jamais vu attribué à personne : Éric-Emmanuel.
Se rendaient-ils compte de ce qu’ils faisaient ?
Le sens de ce prénom leur demeurait-il secret ou l’avaient-ils à l’esprit ? Je ne sais. Je crois surtout que l’inconscient du langage travaillait en eux, cet inconscient qui a plus de vocabulaire que nous, l’inconscient virtuose de la polysémie qui sait imposer le mot dont le son, pour une raison mystérieuse, paraît juste.
Têtes de certains lorsqu’ils comprennent que je suis, à ma manière, chrétien : visages catastrophés, mines défaites ! Je les déçois. Je dégringole dans leur estime.
Cela m’amuse.
Quelques grimaces, ce ne sont pas les lions qui dévorent le chrétien dans l’enceinte d’un cirque !
Si notre siècle a connu un grand progrès, c’est celui de l’insignifiance.
Aujourd’hui, le livre est en vente. Ce qui ne signifie pas que quiconque l’achètera.
On l’achète. Mon éditeur est étonné. Moins que moi.
Bonheur de savoir que le livre est bien reçu et trouve de nombreux lecteurs. Bonheur des belles rencontres dans des salles pleines.
Avant de publier ce livre, j’avais l’impression d’être le seul écrivain à connaître ce genre de soucis : peser le christianisme, évaluer son apport, son intérêt, son mystère. Maintenant que nous sommes en pleine « rentrée littéraire », expression dont les deux termes sont sans doute usurpés, cette sensation se confirme. En dehors de mon amie Amélie Nothomb qui reçoit le livre avec beaucoup de respect et de bouleversantes louanges, j’ai le sentiment, malgré les bonnes critiques, d’être un vilain petit canard.
Lorsque j’avoue avoir la foi, certaines personnes me regardent comme si je disais quelque chose de profondément obscène. Ou d’inapproprié. Je deviens un crétin ou un être transparent. En tout cas, par cette confession, les voilà convaincus que je suis nécessairement un mauvais romancier et une imposture philosophique…
En revanche, je partage cette quête, ce souci du sens, avec beaucoup de lecteurs, croyants ou pas, et mon sentiment de solitude s’est éloigné. Athées et chrétiens réagissent avec force et intérêt. Des lecteurs moins métaphysiques m’ont simplement suivi par curiosité.
Au fond, chacun marche vers son jour et ne rencontre vraiment que ceux qui empruntent le même sentier…
La presse est bonne. Me voici applaudi par beaucoup, déchiré par deux ou trois, ignoré assez convenablement par les autres. Rien ne m’atteint réellement. J’ai l’impression qu’éprouve celui qui, se remettant d’un malaise, entend des voix indistinctes autour de lui, voit des ombres s’agiter : un tout petit peu vivant au milieu d’un monde qui m’échappe.
Très en colère, très rouge, quelqu’un s’indigne devant moi qu’en plein XXIe siècle, on puisse se demander encore si Jésus a existé, s’il était le fils de Dieu. Sornettes, crie-t-il ! Selon cet homme très sûr de lui, il est même ridicule de se poser la question !
J’en reste muet. Je ne réponds pas, par crainte de le blesser.
Il s’estime intelligent alors qu’il vient de nous prouver sa stupidité.
Il s’imagine moderne, progressiste alors qu’il vitupère avec intolérance, qu’il tombe dans un fondamentalisme dangereux – comme tous les fondamentalismes –, le fondamentalisme athée, la doctrine fanatique de ceux qui se croient au-dessus de tout, abusés par rien ni personne.
Selon lui, tous ceux
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