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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Gougaud
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au nom semblable qui lui venaient ensemble offrir le bonjour du ciel et la bénédiction de ses amours. « Assurément, se dit-elle, tout éblouie, ce soir je verrai comment naît un père dans le regard d’un homme. » Elle attendit que l’oiseau ait disparu dans les profondeurs de la vallée, puis elle s’agenouilla, prit dans ses bras le petit crasseux qui rongeait un croûton en la regardant rire et le dévora de tendresses.
    À peine franchi le portail du château elle se vit dessus un courtaud de soldat étourdiment venu, trottant à son travers avec une brassée de lances. Partout dans la cour étaient des hommes chargés d’armes et de harnachements. Des sergents courbés sur des meules faisaient crisser des lames dans des envols d’étincelles, d’autres, à l’écart des garçons qui couraient en tous sens, affûtaient des flèches ou torsadaient des cordes ou graissaient des cuirasses. Jeanne, évitant les bousculades le long des auvents, se hâta jusqu’au donjon. Comme elle parvenait aux marches du perron, au-dessus d’elle sous la porte voûtée Jourdain du Villar sortit de l’ombre de la tour. Il était avec Bernard Marti et le messager maigre tout à l’heure apparu sur le bord du torrent. Ils restèrent là à parler sans se soucier d’elle, tandis que tonnait plus haut que les tumultes monseigneur Pierre de Mirepoix surgi d’une écurie en traînant au collet deux écuyers chétifs avec un jeu d’échecs aussitôt dispersé. Jeanne n’osa bouger, de peur d’être vue de son Jourdain sans que le moindre bonjour lui fût dit. Il l’aperçut bientôt, eut un air de surprise contente, laissa ses compagnons et descendit les marches qui le séparaient d’elle en s’étonnant de la rencontrer là. Elle lui répondit qu’elle allait à la chambre moyenne où dame Corba lui avait demandé de déposer les chemises de ses filles qu’elle venait de lessiver. Après quoi elle voulut savoir la raison de ce bruyant désordre qui les environnait. Il lui dit :
    — Demain avant le jour nous partons en campagne.
    Et comme Jeanne s’effrayait :
    — Nous serons bientôt de retour.
    Il la prit aux épaules. Dans ses yeux elle vit du feu tant émouvant qu’elle saisit sa main, à sa joue l’attira, mais à l’instant, Bernard Marti passant près d’eux au bas des marches, il se défit doucement d’elle et suivit la robe sombre du vieux père. Elle cria :
    — Jourdain, où devez-vous partir et pour quelle bataille ?
    Il était déjà loin, traversant au côté du parfait des traits de soleil poussiéreux parmi d’autres paroles et cliquetis de ferrailles.
    — Il l’ignore, lui dit le messager.
    Elle regarda le bonhomme assis sur le perron contre le mur ombreux. Il rit à petits coups, essuya son couteau contre sa fesse soulevée, et sortant de son sac de ceinture une boule de pain et des pommes ridées il dit encore :
    — Seuls sont dans le secret, avec moi-même et le très haut seigneur qui m’envoie, monseigneur Raymond de Péreille, son gendre Pierre (que Dieu le garde en vie car c’est un fier guerrier) et messire Bernard Marti par qui nous sont assurées les amitiés du ciel. La troupe ne saura qu’au moment de combattre. C’est ainsi que chez nous on fourbit les beaux meurtres.
    Et l’air fort satisfait il mordit son croûton.
    Jeanne espéra Jourdain jusque vers la minuit, puis cessa de l’attendre. Elle resta devant son feu à consoler Béatrice accourue chez elle dès la fin du jour pour lui pleurer sa peur de perdre Thomas l’Écuyer, à qui elle s’était promise. Le jeune homme lui avait tout à l’heure annoncé avec une exaltation de novice sa chevauchée prochaine dans l’enviable compagnie de ses maîtres chevaliers et de trois douzaines d’hommes qui tous avaient donné la mort dans des batailles. Elle avait voulu le retenir de vive force. Il l’avait arrachée de lui, tout rieur et bravache, et s’était enfui sans promesse de retour en poussant des cris d’assaillant de nuées.
    Comme la nuit s’épuisait, elles furent réveillées de leur somnolence trouée de sanglots et de ressassements par le bruit de la troupe qui dévalait la sente. Elles s’en vinrent au seuil, et par la porte entrebâillée elles risquèrent la chandelle. Parmi les éclairs d’armes et de ferrures, les fumées des naseaux dans l’air noir et le fracas des cavaliers qui leur passaient devant, chacune avidement chercha une ombre fugitive. Jourdain vit Jeanne. Il lui

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