L'holocauste oublié, le massacre des tsiganes
hommes de transporter les cadavres et de les déposer sur la table de dissection.
— J’ouvre le dossier et le feuillette. Des examens cliniques très poussés accompagnés de radiographies, de descriptions et de dessins artistiques, reproduisent les manifestations scientifiques de la gémellité des deux petits êtres. Seules manquent les constatations d’anatomie pathologique. Leur exécution est à ma charge. Les deux petits frères jumeaux sont morts en même temps et reposent l’un à côté de l’autre sur la grande table de dissection. Ce sont eux qui doivent, par leur mort, avec leur petit corps offert à la dissection, résoudre le secret de la multiplication de la race.
— Faire un pas en avant dans la recherche de la multiplication de la race supérieure désignée pour la domination est un « noble but ». Si l’on pouvait arriver à ce que dans l’avenir chaque mère de race aryenne pure accouche autant que possible de jumeaux !
— C’est un projet insensé ! Ses promoteurs sont les théoriciens déments du III e Reich. La réalisation de ces expériences a été acceptée par le docteur Mengele, médecin chef du K.Z. d’Auschwitz et célèbre « Criminal doctor ». Mieux vaut traduire ce terme par « docteur criminel » que par docteur criminologue…
— Je reçois encore des cadavres de jumeaux. On m’en apporte quatre paires du camp tsigane. Ce sont des jumeaux de moins de dix ans.
— J’ai fini la dissection d’une paire de jumeaux et je note dans le procès-verbal chaque phase de la dissection. J’enlève la calotte crânienne. J’en extrais simultanément le cerveau et le cervelet. J’examine l’ensemble. Suivent l’ouverture du thorax et l’enlèvement du sternum. Ensuite, j’écarte la langue par une ouverture pratiquée sous le menton. En même temps que la langue vient l’œsophage, et avec les voies respiratoires, les deux poumons. Je lave les organes pour y voir clair. Tout est plein de sang. La plus petite tache ou la différence de couleur la plus insignifiante peut fournir des indices importants. Je fais une coupe transversale à travers le péricarde. J’enlève à la cuiller le sérum qui s’y trouve. Je sors ensuite le cœur ; je le mets sous le robinet pour le laver. Je le tourne et le retourne dans ma main pour l’examiner.
— Dans les parois extérieures du ventricule gauche, il y a une petite tache rouge pâle, provoquée par une piqûre d’aiguille et qui diffère à peine de la couleur de l’ensemble. Je peux me tromper. La piqûre a été pratiquée avec une aiguille très fine. Évidemment, c’est une aiguille pour injection. Il a reçu une injection, mais dans quel but ? On peut recevoir des piqûres dans le cœur en cas d’extrême urgence, lorsque le cœur flanche. Je le saurai bientôt.
— J’ouvre le cœur, en commençant par le ventricule. Habituellement, on enlève à la cuiller le sang contenu dans le ventricule gauche et on le pèse. Cette manière de procéder ne peut être appliquée dans le cas présent, car le sang est coagulé en une masse compacte. Avec la pince je triture le caillot et je le porte à mon nez pour le sentir. Je suis saisi par l’odeur caractéristique de chloroforme. Il a reçu une piqûre de chloroforme dans le cœur afin que le sang du ventricule, en se coagulant, se dépose sur les valves et amène instantanément la mort par arrêt du cœur.
— Mes genoux tremblent d’excitation car je découvre le secret le plus monstrueux de la science médicale du III e Reich. Ce n’est pas uniquement avec du gaz qu’on tue, mais aussi avec des piqûres de chloroforme injectées dans le cœur. Une sueur froide perle sur mon front. C’est une chance de me trouver seul. Devant d’autres je pourrais difficilement masquer mon agitation. Je termine la dissection. Je prends note des différences trouvées et je les consigne sur papier. Cependant, le chloroforme, le sang coagulé dans le ventricule gauche et la piqûre visible sur la paroi externe du cœur n’y figurent pas. C’est une précaution utile de ma part. Les dossiers du docteur Mengele au sujet de ces jumeaux sont dans mes mains. Ils contiennent des examens précis, des radiographies et des dessins, mais les circonstances et les causes de la mort n’y figurent pas. Dans le procès-verbal de dissection, je ne garnis pas non plus cette colonne. Il n’est pas bon de franchir les limites autorisées du savoir et de raconter tout ce
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